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car, comme l’a dit éloquemment Channing, la plus grande force de l’univers, c’est l’esprit. « Ce n’est pas tant la force brutale, l’effort matériel qui fait la puissance de l’homme sur le monde, que l’art, l’habileté, l’énergie morale et intellectuelle; c’est l’esprit qui a conquis la matière... Avec l’accroissement de la puissance intellectuelle et morale d’un peuple, sa puissance productive grandit, l’industrie devient plus efficace, une plus sage économie accroît la richesse... Les moyens d’existence sont d’autant plus aisés qu’un peuple devient plus éclairé, plus juste, et qu’il se respecte davantage[1]. » Pour se rapprocher du but, il faut briser les liens qui retiennent l’homme dans un état de minorité éternelle. Or le premier anneau de cette chaîne qui enlace la société russe, nous le trouvons non-seulement dans le servage matériel, que tout le monde connaît, mais aussi dans le servage moral, qui résulte des pratiques communistes, et dont l’influence a été trop négligée. Indè malt labes; c’est dans son principe même qu’il faut attaquer le désolant mécanisme de la société russe. L’abolition du servage matériel est une cause désormais gagnée en principe, mais cela ne saurait suffire : il faut, quand l’homme cessera d’être asservi à la volonté arbitraire de l’homme, qu’il puisse aussi dominer le sol, que rien n’arrête la continuité de ses efforts; il faut donc émanciper aussi la terre de la fatale influence du communisme.

Presque tous ceux qui ont été amenés à parler de la commune russe et de la loi agraire qui la domine ont cédé à d’étranges illusions. Des hommes jeunes, intelligens, qui veulent pousser leur patrie dans la voie du progrès, ont cru trouver dans la commune un instrument d’émancipation. Ils se sont plu à la présenter comme la base des institutions populaires, et ils ont rappelé avec complaisance les formules proverbiales qui prouvent le respect porté au mir (la commune)[2]; mais ils ont méconnu une distinction essentielle, celle du principe communal, qui emprunte une grande force aux institutions des peuples libres, et du principe communiste, qui domine en Russie. M. Michelet seul paraît avoir saisi d’un coup d’œil pénétrant le péril d’une institution que tant d’autres se sont plu à exalter, à présenter même comme un modèle. Quelques mots lui suffisent pour résumer la conclusion qui ressort de l’enquête patiemment poursuivie par M. de Haxthausen : « La culture et le cul-

  1. Voyez les Œuvres sociales de Channing, traduites par M. Edouard Laboulaye.
  2. « Dieu seul est le juge du mir. — La larme du mir est corrosive. — Le soupir du mir fait éclater le roc. — Avec un fil du mir on fait une chemise. — Personne ne peut renier le mir. — Ce qui appartient au mir appartient à l’enfant gâté. — Ce qu’a décidé le mir doit être fait. — Si le mir gémit, le peuple périt. — Le mir est le rempart du pays. »