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mauvaise qualité. Tout ce qui n’était pas compris dans ce cantonnement demeurait bien communal. À cause de la confusion des parcelles, chacun était obligé de régler son exploitation sur celle des autres ; il en résultait des règlemens locaux qui sont demeurés invariables pendant des siècles ; un nouvel assolement aurait nécessité un nouveau mesurage, et on voulait l’éviter, pour ne pas retomber dans l’état dont les Commentaires de César et l’admirable écrit de Tacite conservent l’irrécusable témoignage[1].

En Russie, des circonstances analogues à celles où se trouvaient les populations germaniques ont créé des rapports pareils ; la seule différence vient de ce que ces rapports s’y sont plus longtemps maintenus, et encore ce pays n’est-il pas seul à nous offrir les vestiges de l’organisation première. Celle-ci a laissé ailleurs des traces curieuses. D’après les anciennes lois des états du Nord, l’égalité primitive de chaque localité rurale pouvait être rétablie à chaque instant en vertu d’une procédure particulière. Il y a douze ans encore, on trouvait des villages dans le haut pays de Trêves où tous les champs, même les jardins, n’appartenaient à leurs possesseurs que durant six, onze ou treize ans. On les confondait ensuite dans une masse commune, dont le conseil, élu par les ménagers, faisait une nouvelle répartition. En Norvége, on n’a cessé qu’en 1821 de procéder périodiquement à la répartition des terrains par la

  1. « La nation des Suèves, dit César, est de beaucoup la plus puissante et la plus belliqueuse de toute la Germanie. Nul d’entre eux ne possède de terres, séparément et en propre (Suevorum gens est longe maxima et bellicosissima Germanorum omnium… Sed privati ac separati agri apud eos nihil est). » Et il ajoute, en parlant des Germains en général : « Nul n’a de champ limité, ni de terrain qui soit sa propriété ; mais les magistrats et les chefs assignent tous les ans aux peuplades et aux familles, vivant en société commune, des terres en tels lieux et quantité qu’ils jugent à propos, et l’année suivante ils les obligent de passer ailleurs. » Tacite s’exprime de même : agri pro numero cultorum ab universis in vices occupantur, arva per annos mutant, et superest ager. Horace avait déjà parlé (Ode 24, livre III) des Scythes et des Gètes, « dont les champs sans limites produisent une libre et commune moisson ; ils ne cultivent qu’un an le même sol (nec cultura placet longior annua). » C’est le témoignage de Tacite et de César qu’invoque Montesquieu, quand il rappelle que les terres cultivées par les Germains ne leur étaient données que pour un an. Ils n’avaient de patrimoine que la maison et un morceau de terre dans l’enceinte autour de la maison. Ce patrimoine particulier appartenait aux mâles. En effet, pourquoi aurait-il appartenu aux filles ? Elles passaient dans une autre maison. La terre salique était cette enceinte qui dépendait de la maison du Germain ; c’est la seule propriété qu’il eût. Tout le sol était commun. On le nommait almenning, alminning, almœnniger ou allmende, pour traduire cette pensée qu’il appartenait à tous. — Voyez sur cette grave question Maurer, Geschichte der Markverfassung, 1854. — Il entre dans des détails précis sur l’usage adopté par divers peuples de partager chaque année ou au bout d’un certain nombre d’années les champs par la voie du sort. Avec les changemens survenus dans l’économie rurale, les époques d’attribution des terres ont varié. La durée diverse de la prescription tient à ces usages primitifs.