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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/628

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la position change. Partout où les hommes sont réunis, le progrès s’accomplit par l’exemple que donnent les plus intelligens, en entraînant le vulgaire à leur suite, et en détruisant les résistances de la paresse et de la routine. L’effet contraire se produit avec la confusion des terrains : alors le moins habile ne se contente pas de demeurer en arrière, il interdit tout progrès aux hommes mieux doués que lui. L’inconvénient des possessions communes persiste longtemps d’ailleurs, et les obstacles que rencontre l’exploitation individuelle de ces terres contribue à maintenir d’anciens usages dont le progrès des cultures s’accommode mal. C’est une situation intermédiaire entre l’exploitation par corps de ferme et le communisme primitif, qui se traduit, soit par le travail d’ensemble et le partage des fruits recueillis, soit par le partage périodique du sol.

La Russie en est encore, pour les terres des paysans, à la première période, surtout dans les gouvernemens qui composent la Grande-Russie. Le jugement que porte M. de Haxthausen sur cet état de choses n’est pas uniforme : tantôt il l’exalte, et tantôt la force des choses l’amène à en reconnaître le péril. Bien entendu, il n’a nullement abordé le point de vue relatif au développement nécessaire de l’individualité humaine, car il penche vers le pouvoir absolu, qui reproduit à ses yeux le type de l’autorité patriarcale. Il admire[1] «cette famille, qui est la miniature de la nation. Il y règne une parfaite égalité de droits. Tant qu’elle est réunie, son chef est le père de famille; lui mort, le fils aîné a la disposition arbitraire de toute la propriété, et assigne, sans consulter personne, la part qui revient à chaque membre de la communauté. — La commune est la famille en grand : elle possède le sol; chaque individu n’a que l’usufruit de sa part, et la part de chacun est égale. Le lot du père ne passe pas par héritage à ses fils; mais chacun d’eux en réclame une part en vertu de son droit individuel comme membre de la commune, dont le chef absolu, ou le père fictif, se nomme l’ancien (starosta). La Russie appartient à la nation russe subdivisée en communes, comme une seule famille, sous l’autorité de son chef ou père, le tsar, qui dispose légitimement de tout, et dont le pouvoir est absolu. »

Ce tableau est loin de nous séduire, on en voit facilement les ombres. L’individu disparaît, absorbé dans la communauté; le niveau qui fonctionne régulièrement maintient l’égalité de la misère et de l’ignorance : il empêche la formation de la classe intermédiaire entre le peuple et les classes élevées, qui existent en dehors de la commune rurale. Or cette classe intermédiaire a été partout et tou-

  1. Tome Ier. Introduction, VIII.