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Par ce partage continu du sol, la vie communale devra trouver sa limite naturelle dans l’accroissement de la population. Iscander prévoit cette objection. «Quelque grave qu’elle soit en apparence, dit-il, il suffit pour l’écarter de répondre que la Russie possède encore des terres pour tout un siècle, et que dans cent ans la brûlante question de possession et de propriété sera résolue d’une façon ou de l’autre. » La réponse est commode. Signalons seulement le moyen indiqué pour se tirer d’embarras : la Russie possède encore des terres pour tout un siècle. Ce sont donc, de l’aveu même d’Iscander, les immenses étendues de terrain propres à la culture, et non les institutions communistes, qui promettent de fournir une occupation fructueuse à une population croissante. Il ajoute : « Beaucoup disent que, par suite de cette instabilité dans la possession, la culture du sol ne s’améliore point; cela peut bien être. » Mais à ses yeux le progrès de l’agriculture n’est pas une compensation suffisante de l’horrible situation du prolétariat affamé. Cependant le meilleur moyen de donner du pain, c’est d’en produire davantage, et, quoi qu’on en dise, le prolétaire affamé de l’Occident ne serait guère disposé à échanger son sort contre celui du paysan russe.

Malgré d’étranges préventions en faveur du communisme rural, malgré les assertions hasardées inscrites au début de ses études, M. de Haxthausen est amené par l’invincible puissance de la réalité à confesser les vices d’un régime d’oppression que la commune subit en gémissant, au lieu de le rechercher. Un passage des plus instructifs le démontre. « La coutume du partage continuel des terres et du changement des lots assignés à chaque membre est sinon tout à fait contraire, du moins très peu favorable aux progrès de l’agriculture. Il se pourrait même que, longtemps encore, l’agronomie et les différentes branches de l’économie rurale restassent stationnaires, et ne pussent s’élever au degré de perfection qu’on voudrait leur voir atteindre. L’avenir tranchera ces questions. Néanmoins il serait curieux de connaître si cette institution pourra se maintenir intacte et se perpétuer chez le peuple russe, malgré les modifications qu’y devront nécessairement apporter un plus haut degré de culture matérielle et morale et une civilisation plus avancée.» Poser ainsi la question, c’est la résoudre. L’écrivain a quitté, au contact des faits, le ton tranchant et dogmatique; il reconnaît que les Russes instruits et intelligens ne sont pas favorables à cette institution au point de vue agronomique. «Tout en lui rendant justice sous le rapport politique et social, ils prétendent que le sol n’arrivera jamais à un degré convenable de culture tant que le principe fondamental de la commune sera rigoureusement observé. » Que diraient-ils donc, si, placés à un autre point de vue politique et social, ils