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avec lequel nous avons fait connaissance. D’ailleurs ils ne nous aideraient pas à mieux comprendre ce qu’était au fond ce judicieux visionnaire. Il est temps d’arriver à celui des ouvrages de Browne qui complète le mieux la singulière figure dont la Pseudoduxia ne nous a révélé qu’un côté.

Dès les premières pages, la Religio medici nous offre la preuve que les temps n’exercent pas toujours une influence directe sur les individus. Vers 1634, alors que Browne composait son soliloque « pour sa satisfaction privée et avec la pensée d’en faire un mémento pour lui-même plutôt qu’un exemple et une règle pour autrui, » le vent était tout à fait aux controverses religieuses. Ce n’était plus le moment des décisions où, sans trop raisonner, les hommes étaient allés, par instinct et par amour, vers la croyance qui les attirait irrésistiblement. Les partis étaient pris maintenant, et quoique l’enthousiasme n’eût point diminué en Angleterre, les ferveurs du XVIe siècle faisaient place de plus en plus à ces argumentations qui ont rempli le xvii% et qui ont laissé tant de traces dans Bayle, Leclerc, Jurieu, etc.

Mais les natures vraiment originales, au lieu de se laisser gagner par les entraînemens de leur entourage, n’y trouvent qu’une occasion d’acquérir plus vivement conscience de leurs propres instincts, et tel est l’effet que produisent sur Browne les intempérances dogmatiques dont il est témoin. Après avoir déclaré qu’il est chrétien protestant de l’église d’Angleterre, et cela u non-seulement de naissance et d’éducation, mais par conviction personnelle et de sa propre option, » il ajoute, en faisant allusion aux catholiques :


« Pour autant, je n’ai pas rompu à tel point avec ces courages désespérés qui préfèrent risquer leur barque avariée sur la haute mer plutôt que de rentrer au port pour la réparer... Je ne me suis pas tellement séparé d’eux que j’en sois à leur égard aux antipodes et à épée tirée. Nous avons fait une réforme à partir d’eux et non contre eux, car, à laisser de côté ces accusations et ces échanges de propos outrageans qui divisent nos affections et non pas notre cause, nous sommes unis les uns aux autres par un même nom et un même titre, par une foi et un corps nécessaire de principes qui sont communs entre nous. Je n’ai jamais pu voir qu’il y eût aucune conséquence raisonnable à tirer des textes qui défendent aux enfans d’Israël de se souiller dans les temples des païens. L’eau bénite et les crucifix, bien que dangereux pour le vulgaire, ne trompent pas mon jugement et n’abusent aucunement ma dévotion. Je suis, je le confesse, naturellement porté à ce qu’un zèle mal entendu appelle superstition. Je reconnais que ma conversation ordinaire est sévère, que mes manières sont pleines de raideur et parfois teintes de morosité; pourtant dans mes oraisons j’aime à user de la civilité de mes genoux, de mon chapeau et de ma main, avec tous ces mouvemens extérieurs et sensibles qui peuvent exprimer ou exciter ma ferveur invisible. Je ferais violence à mon propre bras plutôt qu’à une église, et je