Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne souillerais pas volontiers un nom de saint ou de martyr... Je ne puis pas rire, j’aurais plutôt compassion des stériles voyages des pèlerins et de la condition misérable des moines. S’il y a une méprise dans la forme, il y a dans le fond un élément de piété. Je n’ai jamais été capable d’entendre la cloche de l’Ave Maria sans un élan de prière, et je ne sache pas que, parce qu’ils ont erré par un point, ce me soit une autorisation suffisante pour errer par tous, je veux dire par le silence et un muet dédain. Tandis donc qu’ils tournaient vers la Vierge leurs dévotions, j’adressais les miennes à Dieu, et je rectifiais les déviations de leurs prières en réglant justement les miennes. En voyant une procession solennelle, il m’est arrivé de pleurer abondamment pendant que mes compagnons, aveuglés d’opposition et de prévention, tombaient dans des excès de mépris et de rire. Les églises grecque, romaine et africaine ont sans contredit des solennités et des cérémonies dont les sages ferveurs savent faire un usage chrétien et qui sont condamnées par nous, non pas comme étant un mal en elles-mêmes, mais comme étant des sollicitations et des amorces à la superstition pour ces têtes vulgaires qui regardent de travers la face de la vérité, et pour ces jugemens instables qui ne peuvent s’asseoir sur le centre de résistance sans des oscillations ou des chancellemens vers la circonférence. »


Chez Browne,. ce n’est pas là seulement de la sympathie pour les rites catholiques, — bien qu’ils aient certainement attiré son imagination, — c’est avant tout l’effet d’une constitution qui, pour citer ses propres paroles, est si générale qu’elle s’accorde avec toute chose. Sa conscience lui donnerait un démenti, s’il disait qu’il déteste absolument quoi que ce soit, excepté le démon. Les antipathies nationales ne le touchent pas; il ne s’étonne point des sauterelles et des cigales que mangeaient les Juifs, ni des plats de grenouilles et d’escargots dont se régalent les Français. A la vue d’une vipère, d’un scorpion ou d’un crapaud, il ne sent en lui nulle envie de prendre une pierre pour les écraser. « Je n’ai jamais pu, dit-il ailleurs, me mettre en discorde avec un homme pour une différence d’opinion, ou prendre colère contre son jugement, parce qu’il ne se rencontrait pas avec moi dans une manière de voir dont, sous peu de jours peut-être, je devais moi-même m’éloigner. » Cette espèce de tolérance, Browne l’attribue avec humilité au tempérament froid dont le ciel lui a fait la grâce; je l’attribuerais moi-même en grande partie à l’insatiable curiosité de son esprit. Tandis que la plupart des hommes sont choqués par tout ce qui les surprend et par tout ce qui sort de leurs idées, il aime les aventures et les rencontres imprévues; tandis que pour les autres c’est une souffrance de concevoir ce qu’ils n’avaient pas conçu, pour lui c’est un bonheur d’étendre incessamment ses pensées et ses affections. Il a peine à dire : il n’y a que cela de vrai, il n’y a que cela de bon. Il voudrait pouvoir embrasser une vérité sans s’obliger à rejeter complètement les décisions contraires. En parlant des trois hérésies vers lesquelles