puisse se réfugier, elle se forge des illusions consolantes, elle se repaît de quelques riantes chimères. Elle résiste aux accablemens extérieurs, elle se raidit contre le fardeau qui la surcharge et va l’écraser, et en somme, à quelques rares exceptions près, elle finit par retrouver l’équilibre, sans lequel l’être lui-même s’anéantirait. Remarquons aussi que, dans ces circonstances extraordinaires, tout incident nouveau retrempe l’homme, et, favorable ou contraire, ranime sa force défaillante.
Ces incidens ne manquaient pas, on peut le croire, aux défenseurs de Lucknow. Jacques Cipaye ou Baba log[1], — ces sobriquets grotesques donnés aux insurgés disent assez que la gaieté même n’avait pas disparu tout entière, — s’étudiait à les harasser par des menaces continuelles. L’heure du repos venue, ou bien lorsque le feu des assiégeans, ralenti depuis quelques heures, faisait croire à une espèce de trêve, on entendait tout à coup des clameurs assourdissantes. Le clairon résonnait de tous côtés. La grosse artillerie retentissait, mêlée aux crépitations de la fusillade… Cependant après tout ce bruit pas un homme ne se montrait. Il n’en fallait pas moins, l’arme au pied, se tenir prêt à tout événement. Une partie de la nuit et du jour s’écoulait ainsi, interrompant les travaux de la garnison sans lui permettre pourtant de se livrer au repos. D’ailleurs, de tant de balles et de boulets lancés au hasard, quelque mal résultait toujours. Chaque journée avait ses morts et ses blessés, de huit à dix en moyenne. Encore ne comptait-on que les Européens, ainsi que nous l’apprend naïvement M. Rees. « Naturellement, dit-il, les soldats indigènes n’entrent pas dans mon calcul : la perte, nous le sentons bien, n’en est pas grande ; mais le cœur nous saigne quand on nous apprend qu’un Européen a été atteint. Ce n’est pas à l’homme lui-même, il faut en convenir, que nos regrets sont voués : notre égoïsme déplore cette unité dont s’affaiblit le chiffre de la garnison, et cette perte nous montre l’avenir sous un jour peu flatteur. Si nous ne sommes pas secourus d’ici à un mois, il nous faudra devenir la proie de ces ingrats coquins (those ungrateful scoundrels) dont nous sommes environnés. »
Ces phrases significatives figurent dans le journal du jeune professeur sous la rubrique du 15 juillet, et nous pourrions en citer bien d’autres[2] où se peint le mépris dans lequel, après quelques jours,
- ↑ « Baba log, mot à mot cher enfant ; c’était le mot favori dont se servaient les vieux officiers parlant à ces honnêtes cipayes dont la loyauté leur inspirait une si entière confiance. » La note est de M. Rees : Personal Narrative, p. 128.
- ↑ « 18 juillet. — Les clairons de l’ennemi résonnent encore, et ils crient à tue-tête : Lia ! lia ! Jallou, bahadour ! « Il est pris ! il est pris ! (sous-entendu le retranchement.) Avancez, mes braves ! » Mais la petite forteresse tient encore, et les bahadours ne jallouent pas. » Personal Narrative.