tout entière. Faute de surveillance, un des assiégeans avait pu se glisser tout près d’un amas de bhousa[1] fort imprudemment laissé dans le voisinage d’un des principaux magasins de poudre. Il y mit le feu et s’échappa nonobstant deux coups de fusil tirés sur lui, et qui le manquèrent. L’incendie se propageait rapidement et sans que personne fût assez osé pour essayer de l’éteindre, car il fallait pour cela s’offrir aux coups des centaines de tirailleurs qui faisaient pleuvoir leurs balles sur l’espace découvert où il s’agissait de se risquer. Tout semblait donc perdu et l’était inévitablement, car le terrain, s’échauffant par degrés, devait à la longue faire sauter le magasin dont il recouvrait les voûtes, lorsqu’une pluie providentielle vint arrêter les progrès du feu.
Cette pluie bienfaisante rendit encore d’autres services. C’était la première qui tombât depuis sept jours que durait le siège, et il est aisé de se figurer ce qui s’était amoncelé d’immondices de tout genre dans une enceinte comme celle que nous avons décrite. Les domestiques et les subalternes indiens ayant pour la plupart déserté dans les premiers jours, et la garnison ayant à peine assez de bras pour suffire à toutes les nécessités de la défense, les bœufs, les chevaux conservés dans les écuries de la résidence demeurèrent privés de soins et de nourriture. Ces animaux s’échappaient, erraient au hasard, misérablement affamés, et allaient périr çà et là. Leurs cadavres empestaient l’air, déjà chargé de miasmes impurs qui allaient bientôt engendrer des maladies contagieuses. La pluie venait donc pourvoir fort à propos aux soins hygiéniques que le manque d’hommes ne permettait plus de se procurer. Elle tempérait de plus, non sans quelques inconvéniens, une chaleur presque intolérable pour les Européens, et malgré laquelle il leur fallait, sous peine de mort, à peine relevés de garde ou revenus des tranchées, quittant le mousquet pour la bêche et la pelle, creuser des fossés, réparer des épaulemens écroulés, le tout sans préjudice de ce que chacun d’eux avait de soins à prendre pour s’assurer le pain quotidien, l’entretien des vêtemens, la satisfaction de ces mille et une habitudes qui, pour l’homme civilisé, deviennent autant d’impérieux besoins.
On se prend à chercher, dans les récits personnels de quelques-uns des assiégés, l’effet que tant de privations et de fatigues devaient produire sur leur moral. Cette étude faite, on est étonné de la force de résistance que la nécessité trouve au fond des natures en apparence les moins préparées. Après le premier ébranlement et la première agitation causés par le sentiment d’une situation critique et d’un imminent péril, l’âme se rasseoit et se fait à toutes les exigences de la crise. S’il n’est pas d’espoir fondé, raisonnable, où elle
- ↑ Paille hachée pour la nourriture du bétail.