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l’affaiblissement dont souffre Browne n’est nullement causé par la force de son imagination ou de ses sentimens moraux. Son mal, c’est d’être trop entraîné d’un côté faute d’être suffisamment attiré vers l’autre. Par rapport à son intelligence, sa vitalité physique est trop faible. Le lest, le vil lest de terre et de cailloux n’a pas dans la cale du vaisseau l’épaisseur voulue.


III.

L’horreur des controverses et la haine de toute négation, une foi dont le siège est surtout dans un insatiable besoin de concevoir les causes invisibles et dans une admiration instinctive pour les nobles sentimens, une préférence décidée pour la vie spirituelle, — tous ces traits que la Religio Medici nous a révélés appartiennent assez clairement au développement moral du XVIe siècle. Pourtant la Religio nous a présenté aussi quelque chose d’analogue à ce que nous avions observé dans la Pseudodoxia ; jusque dans les enquêtes les plus chimériques de son imagination, le rêveur fait encore, comme le savant, une large part à sa raison. Ce procédé habituel de son est eu rapport intime avec le caractère des années de transition où Browne a vécu. Il m’est impossible de rejeter sur son époque seule la faute de ses erreurs pour ne porter à son compte que ses hautes facultés, ou de le considérer seulement comme une imagination bizarre qui ne s’est adonnée à la science que par accidens. Évidemment Browne ne fait qu’un ; il a en lui-même le principe de la curiosité intellectuelle qui l’a enrôlé à la suite de Bacon, comme il a en lui le germe du développement moral qui, dans de certaines directions, l’a rendu visionnaire à l’instar du moyen âge.

Au total, je crois reconnaître chez Browne une espèce de tempérament qui est de tous les siècles, mais qui trouve rarement l’occasion de s’épanouir aussi complètement. Il m’apparaît comme un esprit méditatif, comme une de ces natures impressionnables et mobiles avant tout, qui peuvent réfléchir profondément sans que la réflexion leur enlève l’usage de leurs yeux, qui aiment même infiniment à observer, parce que cela leur donne occasion de commenter, et qui passent leur vie à se laisser entraîner dans des séries d’émotions et d’idées où les lance chaque chose qui vient à les frapper. Seulement chez Browne, le besoin de concevoir et de sentir passe décidément avant le besoin de connaître et de comprendre. Il est de ceux, quel que soit leur nom et quoi qu’ils fassent, qui sont surtout appelés à interpréter la nature humaine et à l’agrandir plutôt qu’à pénétrer plus avant dans l’étude des choses.

En termes plus ordinaires, ce qui domine chez lui, à mon sens, c’est l’imagination et la conscience. Ce n’est pas précisément un