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nable, il s’en fallait, mais du moins véritablement difficile à forcer. De plus, l’Aurora n’étant arrivée que le 2 juillet avec la moitié de son équipage atteinte du scorbut, ils avaient dû mettre le temps à profit avec une rare activité, ce qui rendait plus regrettable encore l’avance que nous leur avions imprudemment laissé prendre.

On pouvait s’étonner qu’ayant si bien fortifié les abords de la ville, ils n’eussent pas cherché à défendre également la passe donnant accès dans la rade d’Avatscha : quelques canons bien disposés eussent en effet rendu extrêmement scabreux le passage de ce goulet long et étroit; mais le temps leur avait évidemment manqué. Les seules traces d’aucuns préparatifs de ce genre étaient un commencement de construction de batterie près d’un phare placé sur la falaise formant la pointe est de l’entrée. Une pièce de gros calibre, destinée probablement à un service de signaux, était pourtant montée près de ce même phare, mais à une élévation qui la rendait inefficace pour la défense de la passe.

Rentré de sa reconnaissance sur la Virago assez tard dans la soirée, l’amiral Price s’était entendu pendant la nuit avec l’amiral Despointes, et le lendemain 29 août, dès que la brise du large eut succédé au calme des premières heures de la matinée, le signal fut fait de former la ligne de bataille. Les navires s’inclinent sous la brise qui fraîchit et s’engagent dans le goulet, les couleurs hissées, en défilant sous le phare, dont le canon les salue d’un boulet inoffensif. Bientôt se déploie le splendide panorama de la baie, dont la végétation contraste avec l’éclatante blancheur des pics neigeux qui la dominent. Enfin à quatre heures l’escadre laisse tomber l’ancre dans l’ordre prescrit devant l’entrée du port de Petropavlosk, accueillie par une décharge générale de l’artillerie russe[1]. Cette décharge, vu la distance, ne pouvait avoir d’autre résultat que de nous révéler immédiatement les positions des diverses batteries. Il était trop tard pour rien commencer, et le reste de la journée fut employé à compléter les divers préparatifs de combat, en même temps que le soir un conseil réunissait à bord de la frégate Président les deux amiraux et les commandans des six navires. On s’arrêta au parti de commencer l’attaque par la batterie de cinq pièces

  1. Avant d’aborder le récit des faits qui vont suivre, qu’il nous soit permis de dire un mot de la forme parfois minutieuse sous laquelle nous les avons présentés. Si ces faits avaient été simplement peu connus, nous eussions pu nous borner à en esquisser rapidement les traits principaux; mais il en est autrement. Le fâcheux engagement du 4 septembre a été apprécié avec une sévérité qui montre sous le jour le plus faux la conduite des équipages de l’escadre alliée, et dès lors la justice nous faisait un devoir d’entrer dans des détails assez étendus pour faire connaître dans toute leur exactitude des événemens d’où l’on faisait ainsi dépendre en quelque sorte l’honneur militaire de nos marins.