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n’est pas ici le lieu de discuter laquelle des deux conduites l’emporte en modération, en justice et en véritable dignité; nous dirons seulement qu’en cherchant ainsi à ensevelir dans l’oubli les événemens qui nous ont été contraires, on se prive volontairement des leçons de l’expérience, plus profitables peut-être dans les revers que dans le succès.

La fortune réservait à l’escadre alliée un dernier désappointement. Dans la nuit du 6, des feux avaient été aperçus au large; aussitôt le jour venu, on appareilla, croyant enfin rencontrer l’ennemi sur l’élément où il avait jusqu’ici décliné le combat, et l’on vit effectivement, au sortir du goulet, deux navires à grande distance, faisant force de voiles pour regagner le large. Un moment l’on put espérer que le plus éloigné était l’une des deux frégates russes que nous savions dans ces mers, la Pallas ou la Diana, — la brume aidait encore à cette illusion; — mais en approchant, on dut se résigner à reconnaître un transport que la supériorité de marche du Président fit, au bout de quelques heures, tomber en notre pouvoir. C’était le Sitka, bâtiment de la compagnie russo-américaine, de 800 tonneaux et de 12 canons, se rendant de la mer d’Okhotsk à Petropavlosk. Le second navire était l’Anadir, goélette de trop petite dimension pour pouvoir être emmenée. Enfin le lendemain, 8 septembre, par un temps sombre, triste et pluvieux, l’escadre abandonnait définitivement ces parages, où elle eût dû trouver un succès, tandis qu’une funeste inspiration la forçait au contraire à s’en éloigner sous le poids du seul revers que nos armes dussent rencontrer dans le cours de la guerre. Laissant derrière elle l’Anadir en proie aux flammes, elle se dirigeait vers la côte d’Amérique, où nous la retrouverons en continuant le récit de ces trois années de croisière.

Cette courte campagne était féconde en enseignemens. Chez nous, dès le début, on avait vu l’indécision paralyser tous nos actes, et le temps se perdre en relâches inutiles. Au lieu de profiter du nombre de nos navires pour nous éclairer, alors que tout présageait la guerre, sur la force de l’ennemi, sur ses points de concentration et sur la nature de ses établissemens dans le nord du Pacifique, en avait en quelque sorte attendu que ces renseignemens vinssent nous trouver. En présence de l’ennemi, à peine l’affaire est-elle entamée, que de nouvelles incertitudes interrompent le combat commencé au moment où la victoire semblait assurée. Enfin, terme fatal et trop commun de l’irrésolution, on finissait par se précipiter tête baissée dans un défilé sans issue. Les Russes, il est vrai, avaient tout à perdre dans la partie engagée, et c’est là un sentiment qui ajoute singulièrement à l’activité individuelle; mais quel admirable