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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/742

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d’hui le retour des mêmes dédains, — ou des mêmes calculs, — ne paraît pas réservé à de beaucoup plus durables succès. L’anathème recommande tout ce qu’il flétrit. Aussi n’est-il pas besoin de penser exactement comme un proscrit pour le défendre. Quelques leçons de métaphysique que l’on ait reçues, fût-on loin de croire que Locke et Condillac aient épuisé la science de l’esprit humain, on se sent, pourvu qu’on aime l’équité, peu de penchant pour leurs aveugles ennemis. On se sent intéressé par ceux qui les osent défendre. Quoi qu’ils disent, ils semblent protester à juste titre. Contre une philosophie d’ailleurs, toute agression qui ne vient pas de la philosophie même est sans droit, et la repousser, fût-ce pour défendre une erreur, c’est en quelque manière servir la vérité. Lorsqu’un jeune écrivain a entrepris, il y a quelques années, de soutenir la cause délaissée, et de justifier au point de vue philosophique la France d’avant 1789, aucun dissentiment ne pouvait empêcher un esprit impartial d’applaudir à sa courageuse sincérité, et de souhaiter à M. Lanfrey un succès égal à son talent.

Ce n’était pourtant pas tout à fait l’œuvre d’un sage. Il y aurait plus de sagesse encore, et, pour tout dire, il serait plus philosophique de s’élever au-dessus des deux partis, de rejeter les proscriptions aveugles, mais d’éviter les retours téméraires, et sans épouser ni condamner en masse des systèmes contestables, de les étudier avec calme, de les juger froidement, d’en expliquer l’origine, d’en caractériser les auteurs, et, tant par l’analyse de leurs écrits que par le récit de leur vie, de les remettre à leur place dans l’histoire de la société moderne et de l’esprit humain. Cette tâche allait admirablement à un philosophe persévérant et modéré, qui a consacré ses jours à la science et à la vérité. M. Damiron a, pendant près de trente ans, enseigné, avec l’accent d’une conviction pénétrante, avec une sorte d’onction sévère, aux jeunes générations qui se succédaient autour de lui une philosophie irréprochable, et donné les principes comme les modèles d’une critique armée par la raison contre le préjugé, le doute et l’illusion. En même temps qu’il résumait ses doctrines dans une suite d’ouvrages spéciaux, il s’est attaché à étudier et à décrire les diverses époques de la philosophie française. Celle qui date des débuts de ce siècle a d’abord été l’objet d’un livre remarquable qui a commencé sa réputation ; puis, remontant aux origines des écoles modernes, il a tracé les portraits des contemporains et des adversaires français de notre Descartes. C’était tout un tableau d’un côté du XVIIe siècle. Le XVIIIe lui restait à peindre; réunissant une série de mémoires biographiques et critiques, il vient de publier deux volumes où sont appréciés plusieurs écrivains de cet âge, aujourd’hui plus connus