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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/75

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ment empêchaient l’ennemi de réparer le dommage causé à sa galerie.

Il serait fastidieux d’entrer dans le détail des opérations de ce genre, qui devinrent, à partir de ce moment, des incidens de chaque jour et de chaque nuit. Ce que nous en avons dit suffira pour montrer quel surcroît de fatigues et de périls, quel surcroît d’anxiétés et de secrètes angoisses il en résulta désormais pour la petite garnison de Lucknow. Sur le plan de la résidence qui accompagne le Personal Narrative de M. Rees, on peut suivre le tracé de toutes ces mines successivement creusées par les cipayes. Nous en avons compté quatre sur un front de rempart qui n’excède guère deux cents yards ou cent quatre-vingt-deux mètres. Ce sont celles qui éclatèrent le 27 juillet, le 10 et le 18 août, le 5 septembre.

Laissons là cette horrible guerre de taupinières, ces puits creusés par des muets, ces routes tracées par des aveugles, ces outils qu’on assourdit, ces combats au fourneau, à l’asphyxie, au camouflet, aux pots à feu, qu’on appelle aussi pots infects (slink-pots) ; sortons même un instant de cette résidence où l’on étouffe, et demandons-nous ce qui se passait alors dans la ville de Lucknow. Un jour, — le 5 août, ce semble[1], — le canon retentit dans la cité : non point le canon quotidien, celui qui démolissait lentement, pan de mur après pan de mur, les bâtimens de la forteresse improvisée. Non, cette fois c’étaient des salves d’artillerie comme celles qui annoncent les fêtes publiques. Un instant les assiégés s’y trompèrent. Ce canon lointain ne pouvait être que celui de l’armée de secours, et les têtes de se monter, et les hourras de retentir !… La nuit passa là-dessus, nuit fiévreuse où certes on ne dormit guère ; mais le lendemain l’énigme fut éclaircie, et derechef l’espoir s’envola. Les insurgés n’étaient point aux prises avec les soldats de Havelock ; ils étaient en grande joie au contraire et en grand travail : ils venaient de faire un roi.

Ce roi donc, — Burges-Kadr, un des fils naturels de Wajid-Ali, — entrait tout justement dans sa dixième année. Aussi régnait-il sans gouverner, cela va sans dire. Le véritable roi était l’amant de sa mère, laquelle exerçait de droit la régence. Munimou-Khan (ainsi se nommait cet heureux favori) comprenait le gouvernement comme une exploitation régulière de la fortune publique et privée. Il vendait les places au plus offrant et dernier enchérisseur. L’acheteur ne devait toucher d’appointemens qu’après l’expulsion définitive des Anglais. En attendant, congé lui était donné d’exploiter de

  1. Notre formule dubitative tient à la divergence des témoignages. M. Rees donne une date, l’officier d’état-major en donne une autre. Si la date importait, on chercherait un troisième témoignage (qui peut-être ne ferait qu’accroître l’embarras) ; mais ici nous pouvons sans inconvénient passer outre.