son mieux sa position officielle, et Dieu sait s’il y manquait. Tout privilège s’affermait à l’encan. Un des fermiers, nommé Mussumut-Abassie, avait pris à bail les tribunaux et les mauvais lieux de la ville. Des tribunaux (civils et criminels, s’il vous plaît), il ne donnait, bon an, mal an, que 18,000 roupies. Il payait au contraire 60,000 roupies le second fermage, tout autrement fructueux à ce qu’il paraît. Une autre bizarrerie de ce gouvernement improvisé fut de donner pour généraux à ses troupes les eunuques du palais, nécessairement sinécuristes sous un roi de dix ans[1]. Ceci semblera peut-être moins bizarre et moins invraisemblable, si l’on se dit que ces eunuques, sous le régime qui venait de finir, avaient cumulé avec leurs fonctions les plus essentielles celles d’officiers des chasses royales. En cet emploi, ils étaient devenus fort habiles à manier le mousquet. De là une supériorité quelconque, — peut-être pas la plus rationnelle, — sur les soldats dont ils reçurent le commandement. De là aussi les duels engagés entre ces grands généraux et les plus francs tireurs de la résidence. On a l’histoire d’un de ces noirs gardiens du harem que son adresse avait fait surnommer Bob the Nailer, Robert le Cloueur. Embusqué dans la Johannes-House et armé d’un fusil à deux coups, il abattait, il clouait quiconque se hasardait à découvert dans le rayon où ses balles pouvaient atteindre. Las de servir de poupées à cet adroit tireur, les Anglais dirigèrent le 5 août contre la maison qui l’abritait une sortie qui réussit parfaitement. Une petite porte céda brusquement à l’explosion d’un pétard au moment où les cipayes étaient pour la plupart profondément endormis. Ceux que l’on surprit ainsi furent expédiés à coups de baïonnette (bayoneted in grand style, dit le narrateur de ce fait d’armes). Bob, perché au plus haut de la maison, et tout occupé des coups de feu que quelques officiers dirigeaient vers lui du haut des terrasses qui dominaient sa position, n’avait rien entendu. On le trouva tranquillement assis, chargeant et déchargeant son mousquet. Inutile de dire qu’il alla rejoindre ses camarades égorgés. À une époque postérieure, un autre eunuque, du haut de la tour dite de l’Horloge (Clock-Tower)[2], avait pris pour ainsi dire la suite des affaires de Bob the Nailer. De son embuscade élevée, il décimait tout à loisir les soldats du poste opposé, et se rendit enfin si incom-
- ↑ Il y avait aussi un conseil d’état et un commandant en chef, beau-frère de Wajid-Ali, mais aucune autorité bien définie et bien reconnue. Les cipayes eux-mêmes élisaient leurs officiers, et les officiers choisissaient en définitive les commandans à qui il leur plaisait d’obéir. Que si un officier venait à déplaire, ses subordonnés, se formant en conseil de guerre, lui notifiaient parfois sa dégradation, parfois plus simplement se jetaient sur lui et le fusillaient. Volontiers aurait-on refusé un grade à ces conditions exorbitantes ; mais le refus d’un grade était puni de mort.
- ↑ Située en face de la Baily-Guard-Gate.