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était son ami, son chef et son dieu. Il ne le quittait pas plus que son ombre, et ne remuait pas un doigt sans son avis. Il l’avait consulté même pour le choix de sa fiancée.

Dès que ces deux amis aperçurent M. Goefle, ils s’élancèrent vers lui pour le retenir, en jurant qu’ils ne quitteraient pas le högar sans qu’il leur eût fait l’honneur de trinquer avec eux. Le punch était prêt, il n’y avait plus qu’à l’allumer. — Je veux, s’écria Larrson, pouvoir dire que j’ai bu et fumé dans le högar du lac, la nuit du 26 au 27 décembre, avec deux hommes célèbres à différens titres, M. Edmund Goefle et Christian Waldo.

— Christian Waldo ! dit M. Goefle ; où le prenez-vous ?

— Là, derrière vous. Il est déguisé en pauvre quidam, il est masqué, mais c’est égal ; il a perdu un de ses gros vilains gants, et je reconnais sa main blanche, que j’ai vue à Stockholm par hasard et que j’ai considérée si attentivement que je la reconnaîtrais entre mille ! Tenez, monsieur Christian Waldo, vous avez la main très belle, mais elle offre une particularité : votre petit doigt de la main gauche est légèrement courbé en dessous, et vous ne pouvez pas l’ouvrir tout à fait, même quand vous ouvrez la main avec franchise et de tout cœur. Ne vous souvient-il pas d’un officier qui, à Stockholm, vous vit sauver un petit mousse de la fureur de trois matelots ivres ? C’était sur le port, vous sortiez de votre baraque, vous étiez encore masqué ; votre valet s’enfuit. L’enfant, sans vous, eût péri : vous en souvenez-vous ?

— Oui, monsieur, répondit Christian ; cet officier, c’était vous qui passiez, et qui, tirant le sabre, avez mis ces ivrognes en fuite, après quoi vous m’avez fait monter dans votre voiture. Sans vous, j’étais assommé.

— C’eût été un homme de cœur de moins, dit Larrson. Voulez-vous me donner encore une poignée de main comme là-bas ?

— De tout mon cœur, répondit Christian en serrant la main du major. Puis, ôtant son masque : — Je n’ai pas coutume, dit-il en s’adressant à M. Goefle, de cacher ma figure aux gens qui m’inspirent de la confiance et de l’affection.

— Quoi ! s’écrièrent ensemble le major et son lieutenant, Christian Goefle, notre ami d’hier soir ?

— Non, Christian Waldo, qui avait volé le nom de M. Goefle, et à qui M. Goefle a bien voulu pardonner une grande impertinence. Dès cette nuit, je vous avais reconnu, major.

— Ah ! très bien. Vous avez assisté au bal en dépit des préjugés du baron, lequel n’avait peut-être pas eu le bon esprit de vous inviter à y paraître ?

— Ce n’est l’usage en aucun pays d’inviter comme convive un