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le cours légal de celles-ci en accord permanent avec leur valeur intrinsèque, de judicieuses mesures destinées à lui survivre, Fleury correspondit à la préoccupation la plus générale et peut-être la plus impérieuse de son temps. Son entrée aux affaires et sa ferme résolution de conserver la paix avaient d’ailleurs suffi pour améliorer sensiblement l’état des finances. Aussi la nouvelle adjudication du bail des fermes et du bail des recettes générales avait-elle presque doublé les ressources d’un trésor où sa main ne puisait jamais qu’avec regret et pour des nécessités démontrées. S’il arriva une fois au cardinal, dans sa complète ignorance de ces matières, de sanctionner une sorte de banqueroute partielle faite aux actionnaires de l’ancienne banque de Law, auxquels celui-ci avait, aux derniers temps du système, hypothéqué certaines rentes sur les tailles, il recula aussitôt que le véritable caractère de cette mesure lui eut été révélé. Le premier entre tous les ministres de l’ancienne monarchie, Fleury renonça à la méchante guerre contre les financiers, dans laquelle le pouvoir en appelait presque toujours, pour masquer ses violences, aux passions les plus aveugles; il s’indigna qu’on osât mesurer les obligations contractées par l’état à la popularité de ses créanciers, et la France s’étonna de voir un ministre aussi soucieux de réparer une injustice que ses prédécesseurs l’auraient été d’en profiter.

Une économie dans laquelle le génie de l’homme d’état se révélait moins que la sollicitude du père de famille présida à toutes les dépenses publiques, qu’elles fussent stériles ou fécondes de leur nature. Dans l’abaissement progressif du chiffre de l’impôt semblait en effet se résumer toute la théorie politique de Fleury : il goûta probablement une satisfaction plus intime en abolissant, une année après son entrée au ministère[1], l’impôt du cinquantième qu’en opérant six ans plus tard l’adjonction de la Lorraine à la France. Cependant, si ces économies profitaient au présent, elles ne servaient pas aussi bien les intérêts de l’avenir. L’armée considérablement réduite, la marine à peu près anéantie sous la double préoccupation de ménager les ressources du trésor et les bons rapports avec l’Angleterre, firent grandement défaut à la France, lorsque la mort du roi de Pologne en 1731 et celle de l’empereur Charles VI en 1740 vinrent arracher l’Europe à ce repos en vue duquel le cardinal avait exclusivement gouverné. Ce ministre manqua donc de grandeur, parce qu’il manqua de prévoyance. Pleinement en accord avec la nation aux jours d’atonie durant lesquels il prit le pouvoir, Fleury parut croire que la France vieillirait avec lui, oubliant que dans le cours ordinaire des vicissitudes humaines les peuples pas-

  1. Déclaration du 7 juillet 1727.