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d’efforts. Il est le dernier ministre de Louis XV qui ait eu une politique personnelle. Entre tous les successeurs du cardinal, il n’en est aucun chez lequel on puisse surprendre une pensée indépendante des honteuses influences auxquelles ils devaient ou leur avènement ou leur maintien aux affaires. Nouant ou rompant ses alliances au gré des plus frivoles caprices, le pouvoir sceptique et blasé passa désormais d’un système à un autre avec cette mobilité, signe éclatant des temps de décadence.

Il faudra aborder ces jours d’abaissement et dire la vérité sur des choses qui n’ont pas droit à la protection du silence, lorsqu’on prétend les donner en exemple. Quand, en haine de la société nouvelle et des doctrines politiques qui l’ont constituée parmi nous, l’on entreprend la glorification des noms les plus justement flétris par la conscience publique, il faut bien rappeler la vérité à un pays auquel on propose comme but unique de la vie sociale l’adoration de toutes les sensualités élégantes. Cette tentative a passé tout à coup des romans-feuilletons dans des livres d’histoire. Aux yeux de la nouvelle école enrubannée et poudrée à blanc qui recueille avec idolâtrie les souvenirs d’Étiolés, de Choisy et de Luciennes, Mme de Prie, dont nous venons d’esquisser la carrière, fut une forte tête financière et diplomatique ; la marquise de Pompadour est la plus noble expression du génie français et l’esprit politique le plus sagace de son temps ; un héros de ruelles devient l’énergique émule du cardinal de Richelieu, son grand-oncle ; il n’est pas jusqu’à Mme du Barry pour laquelle on ne dessine aussi un grand rôle historique en en faisant la personnification de l’unité et de la force dans le pouvoir royal ! L’on professe un dédain si profond pour notre temps et pour les œuvres de science qui l’ont instruit et formé, qu’on déclare de beaucoup préférer le récit des petits soupers où le champagne faisait pétiller l’esprit français « à l’éloge des émeutes de serfs, des séditions d’hôtels de ville, des procès-verbaux d’assemblées et des maussades oppositions[1]. » Ceci est une affaire de goût sur laquelle il n’y a point à discuter. Il est utile pourtant de détourner la fantaisie littéraire de passer de la réhabilitation du crime à la réhabilitation du vice : craignons qu’après avoir badigeonné la révolution, on ne nous badigeonne aussi l’ancien régime, et que la France cesse de comprendre la prévarication comme le châtiment.


L. DE CARNE.

  1. Madame la marquise de Pompadour, par M. Capefigue. Amyot, édition de 1858, préface, III.