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Assurément ce n’est point ainsi que l’on fonde un empire durable, et celui que les cavaliers mahrattes établissaient à la hâte, et comme au galop de leurs chevaux, manquait de cohésion. Ils avaient aussi le tort de s’adjoindre tous les pillards et les brigands qui s’empressaient de se mettre à leur solde, et ajoutaient par leurs excès au mauvais renom que s’étaient acquis déjà les hordes conquérantes qui ravageaient l’Inde à la manière d’un fléau. D’autre part, les chefs d’armée qui se créaient des fiefs dans les provinces envahies ne tardaient pas à se considérer comme indépendans; ils percevaient eux-mêmes les impôts dont ils avaient besoin pour l’entretien de leurs troupes. Cependant, aux occasions solennelles, on voyait tous les chefs, petits et grands, se lever à l’appel du peshwa, se grouper avec leurs étendards particuliers autour de la bannière de Siva-Dji, et s’élancer avec une même ardeur contre l’ennemi commun. En cas de défaite, les tronçons de ce corps mutilé ne tardaient pas à se rejoindre. Il y avait toujours solidarité entre les membres de la grande famille mahratte. Bien que dispersés sur une immense étendue de territoire, ils se prêtaient un mutuel secours. Sur qui pouvaient-ils compter d’ailleurs, ces peuples qui traitaient en ennemis tous les états qu’il leur convenait de mettre à contribution? Quant à des soldats, il y en avait toujours; le cultivateur mahratte quittait sa charrue, courait aux armes, puis revenait après la campagne cultiver son champ. Le guerrier de race sortait de son château fort, perché sur les montagnes, dès qu’un feu allumé sur un pic voisin lui donnait le signal du départ, et il y revenait ensuite, comme l’aigle qui rentre dans son aire, après avoir jeté l’effroi dans la plaine. Une armée considérable se montrait tout à coup aux lieux où la veille on n’aurait pu rencontrer un seul homme portant le sabre et le bouclier. Cependant l’âme, le souffle invisible qui animait la confédération, c’étaient les brahmanes du pays mahratte proprement dit. Plus occupés de la politique et des affaires du gouvernement que de l’étude des livres saints, les brahmanes mahrattes ont toujours pris une part active à la direction des affaires. À cette caste appartenaient les peshwas, qui ont régné de fait durant plusieurs générations, la plupart des hauts fonctionnaires civils, que l’on pourrait appeler des secrétaires d’état, et même des généraux entreprenans qui conduisirent avec habileté et courage les armées du Mahârachtra[1]. C’est ce qui a fait dire à un écrivain musulman que ces mêmes brahmanes « avaient fait du pacifique cordon de leur caste la corde d’un arc toujours tendu[2]. »

  1. Littéralement Grand-Royaume, nom indien du pays mahratte.
  2. Voyez Malcom’s Memoirs on central India. Cet ouvrage de la plus haute importance, écrit avec autant de talent que d’impartialité, contient les notions les plus curieuses sur l’Inde centrale.