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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/852

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personnage, dont le nom se trouve toujours accolé au sien, et qui, parti de plus bas encore, parvint à un plus haut degré d’élévation.

Dans les bourgades de l’Inde, il y a toujours un chef de village Ou patel[1], choisi d’ordinaire parmi les cultivateurs. Simple paysan comme ses subordonnés, il est chargé de veiller au maintien du bon ordre. Telle était la position que devait occuper par droit d’héritage un certain Rano-Dji-Sindyah, habitant d’un petit village du district de Wahy, situé près des sources de la rivière Krichna, dans la province de Bedjapour, à vingt lieues environ au sud de Pounah. Pour un cultivateur de l’humble caste des çoûdras, une pareille situation ne laissait pas d’être fort honorable; cependant Rano-Dji en jugea autrement. Il se rappelait que dans des temps plus heureux ses ancêtres avaient occupé un rang élevé dans les armées et reçu des titres du Grand-Mogol. Poussé par une secrète ambition, il voulut se rapprocher du soleil et avoir un emploi à la cour. Il se rendit à Pounah, où résidait le premier peshwa, Balla-Dji Viçwanàth. Un seul emploi se trouvait alors vacant, emploi tout ta fait servile, et qui convenait parfaitement à un çoûdra, celui de porteur des pantoufles de son excellence le peshwa. Rano-Dji l’accepta avec empressement, estimant que, pour parvenir à la fortune, le plus sûr moyen était d’être admis dans l’intimité du premier ministre. Dans ces fonctions, si peu importantes en apparence, il déploya un zèle surprenant, et qui ne tarda pas à être récompensé.

Badji-Rao venait de succéder à son père en qualité de peshwa. Il avait gardé à son service le paysan Rano-Dji; où aurait-il pu trouver un homme plus capable de porter ses babouches? Un jour, le ministre, qui ne pouvait, selon l’usage de l’Asie, fouler autrement que pieds nus le tapis royal, était resté très longtemps en audience particulière avec le souverain nominal, Sahou-Râdja. Fatigué d’attendre la sortie de son maître, Rano-Dji s’assit sur ses talons et s’endormit, mais les mains passées dans les pantoufles comme dans des mitaines et croisées sur sa poitrine. Le peshwa le surprit dans cette attitude, et comme il se connaissait en hommes, il pensa qu’un serviteur si exact à remplir son office méritait d’occuper une place moins infime. Il le plaça donc avec un petit grade dans le corps de cavaliers nommé par les Mahrattes khasseh-pâgâs, et qui forme, à proprement parler, la maison du prince. C’était une fort belle troupe, montée sur des chevaux de choix appartenant à l’état; chaque soldat recevait de 8 à 10 roupies par mois.

Tel fut le commencement de la fortune de Rano-Dji. A peine tiré de la condition obscure où sa naissance le condamnait à vivre, le

  1. Telle est la transcription littérale de ce mot, que l’on trouve souvent écrit potail dans les auteurs anglais.