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mane soit battu une bonne fois! Il apprendra au moins à faire plus de cas de nos personnes[1]! » Quelques jours plus tard, Souradj-Mal et d’autres chefs mécontens s’éloignèrent avec leurs troupes sous prétexte de choisir un campement plus favorable; ils ne reparurent plus. Seda-Sheo affecta de ne prendre aucun souci de leur défection. Dans l’intervalle, ses projets avaient réussi, et le succès semblait lui donner raison. Un khan dourranie, assiégé dans le château de Dehli, venait de livrer la place après avoir capitulé. De grandes richesses y étaient accumulées; les lames d’argent qui recouvraient le plafond de la salle des audiences ayant été fondues, les Mahrattes en tirèrent près de 4 millions de francs. Seda-Sheo voyait arriver le moment où, débarrassé des Afghans, des Mogols et de toutes les tribus musulmanes qui avaient successivement occupé l’Hindostan, il allait placer sur le trône de Dehli son neveu Viçwanâth, fils du peshwa et chef nominal des armées de la confédération. Il paraît même que, lors de la prise du château de Dehli, le jeune brahmane mahratte fut installé un instant sur le siège du lion, occupé depuis des siècles par les Mogols. Ce fait, nié par les historiens, a été affirmé par Molhar-Rao-Holkar lui-même, qui avait pris une grande part à ce brillant fait d’armes[2].

De son côté, Ahmed-Shah-Abdalli le Dourranie écrivait à Shoudja-oul-Dowlah, vizir de l’empire mogol, pour le conjurer d’oublier le passé et l’exhorter à s’unir à lui contre les idolâtres. Il lui représentait qu’il n’avait rien à attendre des Mahrattes, ennemis déclarés de l’islamisme et décidés à détruire l’empire mogol. Le vizir finit par céder aux instances d’Ahmed-Shah-Abdalli. Ainsi cette campagne prenait de plus en plus le caractère d’une guerre de race et de religion; chacun voyait plus clairement à quel parti il devait se ranger. Vainement Seda-Sheo essaya de se débarrasser d’Ahmed-Shah-Abdalli en lui promettant la libre possession de Lahore et de quelques autres provinces au nord de Dehli. Le sultan des Dourranies n’avait nulle confiance dans la sincérité de ces propositions : il devinait qu’elles ne lui étaient faites que pour gagner du temps et atteindre la saison des pluies, qui l’obligerait à regagner les environs de Kandahar avec ses troupes. De part et d’autre, on se préparait donc à combattre : tandis qu’Ahmed-Shah passait la revue de son armée du haut d’une éminence, sur les bords de la Djamouna, Seda-Sheo, revenu à Dehli après la prise de Koundjpour[3], déployait la sienne dans une plaine immense, sous les murs de Dehli.

  1. Voyez An account of the Battle of Paniput, récit fort curieux écrit en persan par Kasi-Râdja-Pandite, qui était présent à la bataille, et publié en anglais dans le troisième volume des Asiatic Researches.
  2. Voyez History of the Mahrattas, by James Grant Duff.
  3. Ville forte située à vingt-cinq lieues au nord de Dehli. Elle était défendue par dix mille Rohillas, qui se rendirent prisonniers après une résistance opiniâtre. Les Mahrattes l’avaient attaquée avec un corps de quinze mille hommes d’élite.