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ploi de la haine, on juge qu’il n’y eut guère de combattans semblables. Il est pamphlétaire comme Annibal fut condottiere.


III. — LE POÈTE.

Le soir de la bataille, ordinairement on se délasse : on badine, on raille, on cause, en prose, en vers; mais ce soir continue la journée, et l’esprit qui a laissé sa trace dans les affaires laisse sa trace dans les amusemens.

Quoi de plus gai que les soirées de Voltaire? Il se moque; mais est-ce que dans sa moquerie vous apercevez quelque intention meurtrière? Il s’emporte; mais est-ce que dans ses colères vous apercevez un naturel haineux et méchant? Tout est aimable en lui. En un instant, par besoin d’action, il frappe, caresse, change cent fois de ton, de visage, avec de brusques mouvemens, d’impétueuses saillies, quelquefois enfant, toujours homme du monde, de goût et de conversation. Il veut me faire fête; il me mène en un instant à travers mille idées, sans effort, pour s’égayer, pour m’égayer moi-même. Le charmant maître de maison qui veut plaire, qui sait plaire, qui n’a horreur que de l’ennui, qui ne se défie point de moi, qui ne se contraint pas, qui est toujours lui-même, qui pétille d’idées, de naturel et d’enjouement! Si j’étais avec lui, et qu’il se moquât de moi, je ne me fâcherais pas; je prendrais le ton, je rirais de moi-même, je sentirais qu’il n’a d’autre envie que de passer une heure agréable, qu’il ne m’en veut pas, qu’il me traite en égal et en convive, qu’il éclate en plaisanteries comme un feu d’hiver en étincelles, et qu’il n’en est ni moins joli, ni moins salutaire, ni moins réjouissant.

Plaise à Dieu que jamais Swift ne badine sur mon compte! L’esprit positif est trop solide et trop sec pour être aimable et gai. Quand il rencontre le ridicule, il ne s’amuse pas à l’effleurer, il l’étudié; il y pénètre gravement, il le possède à fond, il sait toutes ses subdivisions et toutes ses preuves. Cette connaissance approfondie ne peut produire qu’une plaisanterie accablante. Celle de Swift au fond n’est qu’une réfutation par l’absurde, toute scientifique. Par exemple, l’Art de mentir en politique est un traité didactique dont le plan pourrait servir de modèle. « dans le premier chapitre de cet excellent traité, l’auteur examine philosophiquement la nature de l’âme humaine et les qualités qui la rendent capable de mensonge. Il suppose que l’âme ressemble à un spéculum ou miroir piano-cylindrique, le côté plat représentant les choses comme elles sont, et le côté cylindrique, selon les règles de la catoptrique, devant représenter les choses vraies comme fausses, et les choses fausses comme vraies. Dans le second chapitre, il traite de la nature du mensonge