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peut être évalué à moins de 10 shillings par tête chaque année, la richesse de la nation s’accroîtrait par là de 50,000 guinées par an, outre le profit d’un nouveau plat introduit sur les tables de tous les gentlemen de fortune qui ont quelque délicatesse dans le goût. Et l’argent circulerait entre nous, ce produit étant uniquement de notre crû et de nos manufactures. — Troisièmement, ce serait un grand encouragement au mariage, que toutes les nations sages ont encouragé par des récompenses ou garanti par des lois et pénalités. Cela augmenterait le soin et la tendresse des mères pour leurs enfans, quand elles seraient sûres d’un établissement à vie pour les pauvres petits, institué ainsi en quelque sorte par le public lui-même. — On pourrait énumérer beaucoup d’autres avantages, par exemple l’addition de quelques milliers de pièces à notre exportation de bœuf en baril, l’expédition plus abondante de la chair de porc, et des perfectionnemens dans l’art de faire de bons jambons; mais j’omets tout cela et beaucoup d’autres choses par amour de la brièveté.

« Quelques personnes d’esprit abattu s’inquiètent en outre de ce grand nombre de pauvres gens qui sont vieux, malades ou estropiés, et l’on m’a demandé d’employer mes réflexions à trouver un moyen de débarrasser la nation d’un fardeau aussi pénible; mais là-dessus je n’ai pas le moindre souci, parce qu’on sait fort bien que tous les jours ils meurent et pourrissent de froid, de faim, de saleté et de vermine, aussi vite qu’on peut raisonnablement y compter. Et quant aux jeunes laboureurs, leur état donne des espérances pareilles : ils ne peuvent trouver d’ouvrage, et par conséquent languissent par défaut de nourriture, tellement que si en quelques occasions on les loue par hasard comme manœuvres, ils n’ont pas la force d’achever leur travail. De cette façon, le pays et eux-mêmes se trouvent heureusement délivrés de tous les maux à venir. »


Et il finit par cette ironie de cannibale :


« Je déclare dans la sincérité de mon cœur que je n’ai pas le moindre intérêt personnel dans l’accomplissement de cette œuvre salutaire, n’ayant d’autre motif que le bien public de mon pays. Je n’ai pas d’enfans dont par cet expédient je puisse espérer tirer un sou, mon plus jeune ayant neuf ans et ma femme ayant passé l’âge de devenir grosse. »


On a parlé beaucoup des grands hommes malheureux, de Pascal par exemple. Je trouve que ses cris et ses angoisses sont doux auprès de cette tranquille dissertation.

Tel est ce grand et malheureux génie, le plus grand de l’âge classique, le plus malheureux de l’histoire, Anglais dans toutes ses parties, et que l’excès de ses qualités anglaises a inspiré et dévoré, ayant cette profondeur de désirs qui est le fond de la race, cette énormité d’orgueil que l’habitude de la liberté, du commandement et du succès a imprimée dans la nation, cette solidité d’esprit positif que la pratique des affaires a établie dans le pays; relégué hors du pouvoir et de l’action par ses passions déchaînées et sa superbe