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distinction aristocratique dans ces âmes héroïques et détachées, en apparence, de tout ce qui tient aux vanités de la terre ! Transporté à l’Alumbagh, le pieux vétéran y reçut la visite de son compagnon de gloire, sir James Outram. « Pendant plus de quarante ans, lui dit-il, j’ai réglé ma vie de manière que la mort me trouvât toujours prêt… Aussi n’ai-je pas peur… Mourir, c’est gagner ; to die is gain. » Et ses dernières paroles, adressées au fils qui, grièvement blessé, le soignait cependant avec une infatigable tendresse, furent, dit-on, celles-ci : « Venez, mon enfant, venez voir mourir un chrétien. »

Les opérations militaires qui, quatre mois plus tard (du 2 au 19 mars 1858), ramenèrent les Anglais dans Lucknow, soumis cette fois et pacifié, n’entrent pas dans le cadre de ce récit[1]. Chacun a pu lire d’ailleurs la relation de ces événemens, due à une plume ingénieuse et facile, celle du correspondant du Times, M. Russell, qui avait déjà si bien raconté les divers épisodes du siège de Sébastopol, et qui semble, depuis lors, être attaché en qualité d’historiographe à toutes les armées anglaises entrant en campagne. On n’a certainement pas oublié les pages étincelantes où il nous faisait pénétrer avec lui dans le Kayserbagh reconquis et livré au pillage, et il serait plus que superflu de résumer aujourd’hui ces scènes étranges où se reflètent et miroitent les splendeurs du ciel oriental, les lueurs de l’incendie, l’éclair des canons et le ruissellement fauve des trésors amoncelés dans l’ancienne demeure des rois d’Oude. Bornons-nous donc à rappeler ces récits où l’imagination irlandaise de l’écrivain, comme emportée sur l’aile des djinns, effleure avec une vertigineuse rapidité les sites merveilleux de l’Orient, les scènes pittoresques d’une marche à travers les plaines brûlées de l’Inde, et les incidens inouis de ces campagnes fabuleuses qui mettent aux prises, comme jadis, la petite phalange macédonienne avec les innombrables armées de Darius et de ses satrapes. Revenons dans notre vieille Europe, où un autre spectacle, moins brillant, mais plus instructif, sollicite notre curiosité.


Nous sommes en plein sénat. Une lutte acharnée met aux prises ces hommes d’état émérites, ces orateurs experts, qui, du haut de la tribune anglaise, prétendent régler les destinées du monde en réglant celles de leur pays. L’Oude, la compagnie, les directeurs, le gouverneur-général, ces mots reparaissent à chaque instant dans les discours amers qu’ils échangent. D’où vient que ce sujet, tant

  1. Remarquons seulement que sir James Outram, laissé dans l’Alumbagh avec quatre mille hommes, s’y était maintenu, nonobstant plusieurs attaques des rebelles de Lucknow, depuis le 26 novembre 1857 jusqu’au jour où sir Colin Campbell l’y vint rejoindre avec environ quarante mille hommes, dont vingt-cinq mille européens, et cent vingt pièces d’artillerie de siège.