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a rencontré d’ailleurs dans un ami d’enfance, M. Coudroy, un confident et comme un écho de ses impressions. Le travail se fait dès lors à deux, et en communauté pour ainsi dire, un peu au hasard et d’une manière assez décousue, dans le cabinet ou dans une promenade à travers champs, par l’entretien plus que par la plume; mais de cette liberté même et de ce choc des opinions naissent une vigueur et une originalité, une abondance et une variété d’aspects qu’on demanderait vainement à une étude solitaire. L’un des deux amis a-t-il reçu de Paris un ouvrage nouveau, cette lecture devient un thème qu’on n’abandonne qu’après l’avoir épuisé; on prend et on quitte, on accepte et on combat les idées de l’auteur de manière à en dégager le fort et le faible et à pénétrer jusqu’au fond du sujet. C’est par de semblables exercices que Bastiat préludait aux combats qu’il devait soutenir plus tard; il se formait la main et se composait un arsenal de guerre.

Tout résigné qu’il fût à sa vie de province, il lui prenait de loin en loin des impatiences secrètes et le désir de viser plus haut. Si le hasard ou le soin de ses affaires le conduit à Bordeaux, il s’exalte au mouvement de la grande ville et se croit appelé à y jouer un rôle; de cette activité commerciale il voudrait dégager un peu plus d’activité intellectuelle. La ville est riche, les habitans sont ingénieux ; il lui semble que des cours publics y réussiraient. Il y aura une chaire d’économie politique, une chaire d’histoire, une chaire de mécanique; on arrivera à former un athénée, avec des salles et une bibliothèque ouvertes à la population lettrée; dût-il en faire les frais, il essaiera : illusions naïves qui, à l’épreuve, s’évanouiront, mais qui n’en témoignent pas moins de l’état de son esprit! Va-t-il en Espagne pour des intérêts particuliers, cette disposition persiste. Il s’y occupera moins de la compagnie d’assurances qu’il se propose d’y fonder que de l’étude des mœurs et du régime économique qui y prévaut. C’est dans le monde des banquiers que son projet l’introduit; au lieu de les solliciter, il les juge, et si bien qu’à vingt ans de distance son observation garde un caractère d’exactitude. Il distingue deux classes parmi eux : les hommes de la tradition, barricadés dans leurs maisons comme dans des châteaux forts, vivant d’emprunts, de monopoles et de fournitures, solides, mais défians, et ne livrant aux nouveautés ni leur oreille ni leur caisse; puis d’autres, plus hardis, plus européens, plus accessibles par conséquent, mais aussi moins accrédités. C’est la vieille et la jeune Espagne, il faut choisir : c’est à l’Espagne pure qu’il s’adresse, au risque de se fermer les portes de l’Espagne moderne. Les camps sont si tranchés, qu’aucun mélange n’est possible. Il échouera donc après avoir obtenu tout ce qu’il était possible d’obtenir, la formation d’un conseil