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daignées, lui assureront dans l’avenir une gloire plus solide que ce fameux Discours sur la Méthode, dont la valeur principale fut après tout d’être une protestation contre l’école scolastique ; mais de tous ceux qui illustrèrent cette grande époque où la philosophie brilla d’un si vif éclat, aucun ne sonda plus profondément que Spinoza l’essence même de la matière. Qu’on médite sur cette proposition concise qui se rencontre dans un de ses célèbres traités : « Il est de la nature de la substance de se développer nécessairement par une infinité d’attributs infiniment modifiés. » La corrélation des forces physiques n’est-elle pas contenue, comme un simple cas particulier, dans cette puissante formule ? Il n’est peut-être pas sans utilité, à une époque où la science a souvent semblé répudier le concours de la philosophie, de montrer que l’effort de la raison pure peut conduire l’esprit humain, par une voie directe, à la connaissance de lois générales qui renferment virtuellement toutes les lois scientifiques, ce L’homme, écrit le philosophe américain Emerson, porte le monde dans son cerveau. Il n’est point de fait dans les sciences naturelles qui n’ait été deviné par le pressentiment avant d’être vérifié par l’observation. La raison de Franklin, de Dalton, de Davy, est la même raison qui a présidé aux lois qu’ils découvrent. » Il ne peut être question aujourd’hui d’asservir la science à une doctrine préconçue : sa méthode est tracée, ses règles fixes, son indépendance assurée ; mais il est et sera toujours de son intérêt de rattacher les lois qu’elle découvre à des conceptions générales sur l’ensemble du monde. En prêtant à la philosophie quelque chose de sa rigueur, elle en recevra en échange une grandeur qui lui ferait défaut, si elle se bornait à multiplier des observations sans lien, ou s’asservissait à l’esprit utilitaire et à la poursuite des applications pratiques.


Aug. Laugel.