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mouvement sous la double influence de cette impulsion première et de l’attraction que tous les autres exercent sur lui. Il faut pourtant rappeler que Newton ne voyait dans cette grande loi de l’attraction universelle, qu’il avait lui-même découverte, qu’une loi purement subjective, une formule dans laquelle se résument les phénomènes célestes. Quand nous disons que les corps s’attirent, nous devrions simplement comprendre que les choses se passent comme si les corps s’attiraient. La loi de l’attraction universelle n’est point la cause des mouvemens planétaires, mais l’effet. Mettre au centre de chaque molécule matérielle un vrai pouvoir d’attraction ou de répulsion, comme on le fait si souvent, est une notion si étrange, qu’on ne pourrait comprendre comment elle est devenue familière à tant d’esprits, si l’on ne savait combien nous sommes naturellement enclins à donner à tous les objets quelque chose en commun avec nous-mêmes. Thalès supposait que l’ambre possède une âme, parce qu’il attire les corps légers quand on le frotte. Paracelse attribuait la digestion animale au travail d’un esprit. Les alchimistes croyaient à une substance divine répandue dans toute la matière, et pensaient que ceux qui pourraient en régler les transformations réussiraient à fabriquer l’or et les gemmes, et pourraient dans les corps organisés entretenir la santé et perpétuer la vie. Nous animons sans cesse la nature, et les lois scientifiques ne peuvent trouver d’expression qu’en empruntant des formes de langage où la spontanéité de l’esprit humain a semé les figures et les erreurs. Aussi nous est-il devenu assez difficile de ne point revêtir la matière de qualités propres, bien que ces qualités n’existent pas. Il n’y a en réalité ni entités de cette espèce, ni fluides, ni attractions, ni répulsions ; la raison ne nous révèle qu’une substance animée de mouvemens : quelques-uns de ces mouvemens nous sont perceptibles, et composent l’idée relative et incomplète qu’avec l’aide des sens nous nous formons de la matérialité.

Cette notion compréhensive du monde, avant d’avoir reçu la sanction des découvertes scientifiques modernes, s’était déjà révélée aux profonds et vigoureux esprits de Descartes, de Leibnitz et de Spinoza. Les philosophes de l’école cartésienne ne voyaient dans la substance matérielle d’autres propriétés fondamentales que le mouvement et l’étendue ; ils ne reconnaissaient rien autre d’essentiel dans ce monde ondoyant, où les propriétés, les formes, les contours s’altèrent, se dissipent, se mêlent dans une indescriptible variété, où tout se transforme et nulle chose ne demeure, où rien n’arrive jusqu’à nous que par l’intermédiaire des sens, organes aussi changeans que ce dont ils nous transmettent l’impression fugitive et troublée. Les théories métaphysiques de Descartes, longtemps dé-