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son empire, et assure ainsi à ses forces militaires une mobilité et une portée inconnues dans les anciennes guerres. Vienne sera bientôt unie par des chemins de fer non-seulement à Venise et à Milan, mais à Turin, à Rome et à Naples. Quoi qu’il advienne de la pensée politique qui dirige ces vastes travaux, les chemins de fer du moins resteront, et le gouvernement autrichien aura encore servi la cause du progrès en rapprochant des peuples et des territoires engourdis jusqu’à présent dans l’immobilité, ou qui étaient restés impénétrables à l’esprit d’entreprise de l’Europe civilisée. Mais voici que dans sa lutte sourde avec l’Italie un nouveau champion se lève contre elle ; ce combattant inattendu sort du nimbe où les dévots du passé et des causes que l’Autriche protège avaient pieusement encadré sa gloire de théocrate et d’absolutiste. La chancellerie de Turin vient de nous révéler, de mettre au monde pour ainsi dire un Joseph de Maistre ennemi de l’Autriche et défenseur de l’indépendance italienne. N’est-ce point une surprise de bon augure pour le progrès que ce royaliste et cet ultramontain ressuscitant au milieu de nous, retrouvant sa voix la plus mâle et la plus vibrante pour dénoncer les attentats commis par les rois contre les nations et pour flétrir les imbéciles complaisances des pontifes serviles? Cet ensemble de circonstances n’est point fait à coup sûr pour décourager le libéralisme européen. Reprenons-en le détail.

Le plus gros événement intérieur de ces derniers jours est assurément le discours de M. de Persigny. Ce discours, quoique écrit dans une langue un peu fruste, s’élève bien au-dessus des harangues officielles auxquelles nous étions accoutumés ; c’est plus qu’un discours, c’est un acte. Il serait oiseux d’insister sur l’importance que la position personnelle de M. de Persigny communique à ses paroles. La vie entière de l’orateur est assez connue ; c’est une des carrières les plus extraordinaires de notre époque. Nous parlions dernièrement du miracle de volonté auquel M. Disraeli a dû sa fortune politique; on peut opposer les miracles de volonté accomplis par M. de Persigny aux étonnans succès du romancier qui gouverne aujourd’hui les finances et les communes du royaume-uni. M. de Persigny, pour employer une expression qui lui était familière, avait la foi, et il a travaillé au triomphe de sa foi avec un désintéressement personnel, une droiture, une franchise, qui lui ont mérité l’estime de ceux que ses leçons et ses exemples n’ont point réussi à convertir. Nous aimons, pour notre part, ces existences rectilignes, et nous ne voyons pas pourquoi, au moment où la fortune les favorise et les expose à tant d’hommages intéressés, l’on craindrait de témoigner à de tels caractères la sympathie à laquelle ils ont droit auprès de tous les hommes indépendans et sincères. Ce n’est pas le seul mérite que nous reconnaissions à M. de Persigny. Il ne possède point sans doute la culture littéraire et raffinée de l’homme d’état anglais auquel nous le comparions tout à l’heure; mais il a une incontestable sagacité politique au point de vue surtout de la cause à laquelle il a dévoué sa vie. Il vient de faire preuve en même temps de grande sagacité et de grande honnêteté dans les considérations franches et sensées qu’il a exposées devant son conseil-général et devant la France à propos de l’alliance anglaise.

La manifestation de M. de Persigny en faveur de l’alliance anglaise était commandée par une urgente nécessité. M. de Persigny connaît sans doute