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chercher l’abaissement de l’Angleterre dans la réalisation de projets chimériques, tels que l’expédition d’Irlande, se fût bornée à reconstituer patiemment la marine qu’elle avait détruite de ses propres mains, nul doute que quelque brillant succès ne fût venu bientôt encourager son zèle et provoquer de nouveaux efforts. Il fallait avant tout renoncer à cette guerre de moustiques qui ne pouvait qu’irriter inutilement le taureau. Ni nos fautes ni nos malheurs ne nous avaient encore légué une situation irréparable. Dix ou douze ans plus tard, après Aboukir et Trafalgar, cette œuvre de régénération était devenue plus difficile. L’empereur Napoléon ne craignit pas cependant de la tenter, et ce fut une des grandes pensées de son règne. Les projets les plus simples sont encore ceux auxquels je reconnais Je mieux le cachet du génie. Pour assurer l’équilibre du monde, je préfère (qu’on me pardonne cette prédilection du marin) la guerre d’Amérique à l’expédition de Moscou.


III.

La croisière à laquelle je venais de prendre part sous les ordres du capitaine de la Biche m’avait initié à quelques-uns des soucis du commandement : j’avais plus d’une épreuve encore à subir avant de pouvoir me flatter de les connaître tous. A notre arrivée à Cayenne, le commandant Raimbaud reçut l’ordre de rentrer en France, et je fus chargé de remplir une mission qui devait cette fois, grâce à de nombreuses péripéties, compléter à peu près mon éducation de capitaine. Il m’avait été prescrit d’aller reprendre sur les côtes du Brésil mon ancienne croisière, mais on m’avait en même temps donné pour passager le secrétaire du gouverneur de la Guadeloupe. L’ordre d’aller déposer ce passager à sa destination, détail en apparence insignifiant de la mission qui m’était confiée, ne tendait à rien moins qu’à en rendre l’accomplissement impossible. Il est facile de donner à un capitaine des instructions, mais il faut certaines connaissances pour en donner qui ne tournent pas contre les intentions mêmes de celui qui les rédige. Les instructions que je reçus, œuvre de l’agent du directoire, — c’est sous ce titre qu’on désignait alors les gouverneurs de nos colonies, — ne tenaient compte ni des vents alises, ni des courans qui règnent dans cette partie de l’Atlantique. Elles m’obligeaient à faire trois cents lieues environ dans la direction du nord-ouest pour atteindre la Guadeloupe, et me condamnaient ainsi à retourner chercher au-delà du tropique, et presqu’à la hauteur des Açores, des vents qui pussent me permettre de regagner vers l’est le terrain qu’on allait me faire perdre.