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langue, d’où le sang jaillit. Il se rejeta en arrière par un mouvement si brusque et si violent, qu’il échappa aux mains qui le soutenaient, et tomba, la tête en arrière, contre le mur de son alcôve, avec un bruit affreux. Il était mort.

Tandis que le ministre, le médecin et l’honnête Jacob échangeaient, terrifiés, la parole suprême : c’est fini ! Johan, conservant une présence d’esprit extraordinaire, avait regardé et reconnu Christian. L’attentat du Stollborg, dont il attendait depuis une heure le résultat avec tant d’impatience, sans pouvoir quitter le mourant, avait donc échoué. Johan se sentit perdu. Il n’y avait pour lui en ce moment de salut que dans la fuite, sauf à faire plus tard sa soumission au nouveau maître, ou à tenter de s’en défaire à l’aide des complices qui lui restaient. Quoi qu’il dût résoudre, il ne songea qu’à s’échapper ; mais Christian le serrait de trop près pour que cela fût possible, et il le prit au collet, sur le seuil de la porte, d’une si vigoureuse façon, que le misérable, pâle et suffoqué, tomba à genoux en lui demandant grâce.

— Stenson ! lui dit Christian, qu’as-tu fait de Stenson ?

— Qui êtes-vous, monsieur, et que faites-vous ? s’écria le ministre d’un ton sévère. Est-ce dans un moment aussi solennel que celui-ci, est-ce en présence d’un homme dont l’âme comparaît au tribunal suprême, que vous devez vous livrer à un acte de violence ?

Pendant que le ministre parlait, Jacob essayait de dégager Johan de l’étreinte de Christian ; mais l’état de surexcitation où se trouvait le jeune homme décuplait sa force naturelle, et les trois personnages présens n’eussent pu lui faire lâcher prise.

Presque aussitôt Stangstadius, accouru au bruit, était entré, livrant passage aux héritiers, avides de connaître la vérité sur l’état du baron, et aux domestiques, qui étaient aux écoutes et qui venaient d’entendre le dernier râle du mourant.

— Qui êtes-vous, monsieur ? répétait le ministre, par qui Christian s’était laissé volontairement désarmer, mais sans lâcher sa proie.

— Je suis Christian Goefle, répondit-il autant par pitié pour les pauvres héritiers que par prudence en leur compagnie ; je viens ici de la part de M. Goefle, mon parent et mon ami, réclamer le vieux Adam Stenson, que ce misérable a peut-être fait assassiner.

— Assassiner ? s’écria le ministre en reculant d’effroi.

— Oh ! il en est capable ! s’écrièrent à leur tour les héritiers, qui haïssaient Johan, et, sans se préoccuper davantage de l’incident, ils se pressèrent autour du cher défunt, étouffant le médecin sous leur nombre, l’accablant de questions avides, et repaissant leurs yeux du spectacle de cette face hideusement défigurée, qui les effrayait encore en dépit de leur joie.