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certains travaux pour lesquels son instruction et sa capacité s’étaient révélées, à un moment donné, sans aucune affectation de sa part. Savant, modeste et laborieux, il occupait les heures du repos à instruire les ouvriers. Un soir il ouvrit pour eux un cours gratuit de minéralogie élémentaire, et fut écouté de ces hommes rudes qui voyaient en lui un laborieux camarade en même temps qu’un esprit original et cultivé. La salle de ses séances fut une de ces grandes cavernes métalliques auxquelles les mineurs aiment à donner des noms pompeux. Sa chaire fut un bloc de cuivre brut.

Christian essayait d’être heureux par le travail et le dévouement, car c’est toujours le bonheur que l’homme cherche, même au fond du sacrifice de lui-même. Il soignait les malades et les blessés de la mine. Courant toujours le premier aux accidens avec un courage héroïque, il apprenait en outre aux ouvriers à se préserver de ces terribles dangers par le raisonnement et la prudence. Il essayait d’adoucir leurs mœurs et de combattre leur funeste passion pour l’eau-de-vie, mère trop féconde des affreux duels au couteau. On l’aimait, on l’estimait ; mais sa paie passait tout entière au soulagement des estropiés, des orphelins ou des veuves. — Décidément, se disait-il souvent, en entrant dans le tonneau qui le descendait au fond du puits incommensurable, j’étais né seigneur, c’est-à-dire, à mon sens, protecteur du faible, et à cause de cela je ne pourrai donc pas vivre à la lumière du soleil !

— Christian, lui cria un jour l’inspecteur avec le porte-voix du haut de la gueule effroyable de la mine, laisse là ton marteau un instant, et va recevoir au bas des pentes une société qui veut visiter les grandes salles. Fais les honneurs, mon enfant, je n’ai pas le loisir de descendre.

Comme de coutume, Christian fit allumer les grandes torches de résine dans l’intérieur des excavations, et alla à la rencontre des visiteurs ; mais, en reconnaissant le ministre Akerström avec sa famille, et le lieutenant Osburn qui donnait le bras à sa jeune épouse Martina, Christian passa la torche qu’il portait à un vieux mineur de ses amis, en lui disant qu’il était pris d’une crampe et qu’il le priait de promener les visiteurs à sa place. Puis, rabaissant son bonnet goudronné sur ses yeux, il se tint en arrière, repaissant son cœur du plaisir de voir ses amis heureux, mais ne voulant pas être reconnu, dans la crainte de les affliger et de faire savoir à Marguerite dans quelle situation il se trouvait.

Il allait s’éloigner après avoir écouté un instant leur entretien joyeux et animé, lorsque Mme Osburn se retourna en disant : — Mais Marguerite n’arrive donc pas ? La poltronne n’aura jamais osé traverser le petit pont !