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complète des cultes et de l’état était la suite naturelle de ce changement, et si les affaires humaines étaient conduites par la seule logique, cette séparation serait depuis longtemps accomplie.

En effet, si l’état est affranchi du devoir de choisir entre les diverses religions la seule digne d’être protégée, parce qu’il est censé ne point s’y connaître, il perd en même temps le droit de les juger, à plus forte raison le droit de les conduire. Son incompétence déclarée lui enlève un droit en même temps qu’elle le délivre d’un devoir; il n’est plus obligé d’être persécuteur, mais il ne peut plus se dire pontife, ni théologien, ni prophète; il n’allume plus de bûchers, mais il ne tient plus de conciles; en un mot, s’il a rejeté le manteau d’Élie, ce n’est pas pour garder son bâton. Les auteurs immortels de la constitution des États-Unis ont eu le sentiment de cette vérité; ils n’ont parlé qu’une fois de la religion dans leur œuvre, et c’est pour déclarer qu’ils n’ont rien à en dire. Ils n’ont écrit sur ce sujet qu’une ligne qui interdit à leur postérité de faire jamais aucune loi sur les cultes, et ils ont cru avec raison faire assez pour le bonheur de leur pays et pour la prospérité de la religion en proclamant que l’état n’avait reçu du ciel ni le don de s’y entendre, ni le droit de s’en mêler.

La séparation complète des cultes et de l’état est le dernier terme auquel doivent tendre toutes les nations civilisées; mais il est naturel qu’elles avancent dans ce chemin d’un pas fort inégal, et c’est beaucoup que d’y faire un pas. Il est chimérique d’espérer effacer d’un seul coup dans les institutions humaines la part de l’inconséquence et de l’injustice, mais il est beau de marquer cette part et de la restreindre incessamment. Si nous parvenions par exemple à effacer de nos lois la nécessité de l’autorisation préalable pour la diffusion et la pratique des cultes, si nous laissions à la justice le soin de réprimer leurs abus au lieu de remettre à l’administration le droit de régler leurs progrès, si nous les faisions passer de la main des maires et des préfets sous la main de la magistrature et du jury, oserait-on dire que nous n’aurions rien fait, et prétendrait-on que nous n’aurions rien gagné, parce que les cultes resteraient encore inscrits au budget, parce que l’administration nommerait encore les évêques et les pasteurs, parce qu’enfin le conseil d’état conserverait le précieux privilège d’essayer de temps à autre son infaillibilité sur la théologie ou sur la discipline ecclésiastique? C’est pas à pas que se font les conquêtes importantes et durables; nous ne sommes que trop enclins à dédaigner cette façon d’avancer sur la route du progrès, qui est aussi l’unique façon de s’y maintenir. Tantôt nous nous croisons les bras en attendant le retour de l’âge d’or; tantôt nous nous mettons à l’œuvre pour le rétablir en un jour.