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une volonté, quelquefois des passions comme une personne morale; rappelez-vous enfin les intérêts de tout genre qui nous font dépendre d’elle en tant de façons, et qui doivent nous faire craindre par-dessus toute chose d’entrer en lutte ouverte avec elle : alors vous comprendrez aisément quel devait être le sort de l’article 5 de la charte, défendu exclusivement par l’énergie individuelle des citoyens, ou, ce qui revient au même, confié au patriotisme de tous les Français, en face de l’article 291 du code, soutenu par l’administration, et appliqué, comme il doit l’être, par les tribunaux. Si l’on veut avoir l’idée d’une lutte aussi inégale, il faut regarder la Chine se défendant de son mieux contre les forces réunies de la France et de l’Angleterre.

Nous voulons néanmoins citer quelques épisodes de cette lutte, et, afin d’en faire mieux comprendre le caractère, nous les emprunterons aux temps les plus paisibles et au régime le plus modéré de notre histoire contemporaine. On n’accusera pas la monarchie de juillet d’avoir été animée d’un esprit persécuteur, ou d’avoir cherché à se concilier les bonnes grâces de l’église la plus puissante en sacrifiant les droits des autres cultes à son intolérance. L’application de l’article 291 au régime des cultes avait donc alors ce caractère particulier, qu’elle se faisait sans arrière-pensée, sans intention malveillante, pour l’amour de l’art en quelque sorte, par cela seul que cet article existait dans nos codes, et que l’administration ne pouvait pas plus s’empêcher de s’en servir que les tribunaux de rappliquer. En voyant quelles étaient alors les conséquences de cet article, employé sans parti pris et avec une sorte de bonhomie par une administration découverte devant les attaques de la presse et responsable de ses actes devant des assemblées délibérantes, on jugera plus aisément des résultats qu’il pourrait produire entre les mains d’un gouvernement qui mettrait l’application méthodique et rigoureuse de cet article au rang de ses affaires les plus importantes, et dont les actes, loin de pouvoir être jugés, ne pourraient pas même être connus. Nous trouvons enfin un triste intérêt à rappeler sur quels fondemens fragiles reposaient ces libertés dont nous étions alors si fiers, quel étrange contraste présentaient nos institutions et nos usages, le pouvoir de nos assemblées et le pouvoir de notre administration, par quelle négligence fatale on avait couronné la France de la charte en lui laissant les fers aux pieds et aux mains. Mais en cherchant d’utiles leçons pour l’avenir dans les imperfections d’un gouvernement si libéral dans ses principes et si modéré dans sa conduite, nous ne devons jamais oublier que la liberté de nos jugemens à son égard ne date pas de sa chute, et qu’il souffrait volontiers l’appréciation de ses actes et la divulgation de ses