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sacrée de Jésus-Christ : ce sont les idées. L’homme ne songe pas qu’il est avant tout dans ce monde pour se gouverner lui-même et non pour gouverner les autres, et que si le zèle de la maison de Dieu le dévore, il lui est parfois loisible de mourir pour ses propres idées, mais non de faire mourir les autres. L’idée a sa place dans l’humanité ; mais l’humanité est un composé d’êtres moraux et non de systèmes. Serait-il donc impossible de classer les révolutions de l’histoire suivant leurs bienfaits avant de les classer suivant leur grandeur ? Serait-il impossible de classer les grands hommes suivant les lois ordinaires de la morale : d’abord les héros qui ont été des saints et des gens de bien, puis les héros qui ont été humains s’ils n’ont été saints, puis ceux qui ont au moins couvert leurs crimes par de grandes convictions, puis enfin, et bien loin derrière, les héros égoïstes et intéressés, leur intérêt se trouvât-il d’accord avec l’intérêt de leurs peuples, et même, ce qui ne peut pas être, avec l’intérêt de l’humanité tout entière ?

Je conviens que ce critérium appliqué à la France ne donnerait pas les résultats les plus satisfaisans pour notre orgueil national. Il y a quelques années à peine, on se reposait dans l’avenir avec une telle sécurité, que le passé lui-même en était coloré et embelli. Personne n’eût osé alors traiter sévèrement notre histoire, et chacun y trouvait des exemples et des garanties pour son système, les uns attendant du progrès des temps le retour des jours dorés de l’ancien régime, les autres reconnaissans eux-mêmes pour cet ancien régime, qui avait si bien travaillé à se rendre un jour impossible : nous bénissions nos pères de nous avoir fait un oreiller si doux et si commode. Une tempête a passé du même coup l’éponge sur la liberté et sur les systèmes qu’elle avait inspirés dans le jugement des premières époques de notre histoire Alors on s’est retourné vers ces systèmes avec fureur, on a repassé sur toutes les traces de la route parcourue, et l’on s’est aperçu qu’à force de regarder ce phare lointain de l’avenir, on s’était engagé dans une série d’écueils et de bas-fonds où l’on était pour le coup sérieusement engravé. Il s’est trouvé que cette soi-disant histoire providentielle nous avait menés où nous savons. C’est qu’elle est mélancolique en effet cette histoire, et il ne faut pas la repasser un jour de mauvaise humeur. Du plus loin qu’on y peut regarder, voici à l’origine une population barbare vaincue par des conquérans corrompus ; puis barbares et conquérans, Gaulois et Romains, sont foulés à leur tour sans résistance par des hordes sorties des forêts de la Germanie. Voici plus tard le chaos de la conquête, le sol traversé dans tous les sens par des nuées de pillards qui se culbutent les uns les autres, une troupe de ces barbares plus vaillante et conduite par un chef plus habile parve-