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nant à prendre racine sur ce sol bouleversé. Telles sont les origines. À ces premières crises succède une confusion inouïe ; d’autres hordes assiègent les frontières, et l’existence intérieure est sans cesse mise en question, pendant que s’élève seule et éphémère la monarchie romaine du Franc Charlemagne. L’anarchie la plus complète suit la division de cet empire, et l’on voit poindre au loin cette vaste hiérarchie féodale où tout ce qui est le peuple et la nation n’a d’autre place que celle de serfs attachés à la glèbe. Peu à peu les rois de France dominent par la magie de ce titre de petits souverains égaux aux rois dans les limites de leurs domaines. Un éclair d’espérance brille dans cette sombre nuée : la bourgeoisie naissante relève la tête en voyant ce fantôme d’ordre et de justice qui domine peu à peu la barbarie féodale, elle obtient quelque répit et quelques précaires libertés ; mais l’illusion est courte. Les rois reprennent d’une main ce qu’ils donnent de l’autre ; le peuple n’a fait que changer ses exacteurs seigneuriaux pour des exacteurs royaux. Comme la bourse des sujets ne s’ouvre pas assez vite, le roi réunit son peuple en assemblées pour lui demander des subsides réguliers. On espère un instant le terme de tant de maux : qui tient la bourse en effet tient le pouvoir ; mais la noblesse et le clergé, d’abord unis au peuple, se retournent bientôt contre lui, car c’est un maître dur à servir. Alors la nation tout entière, moins la noblesse et le clergé, prépare lentement et dans l’ombre la solennelle vengeance de 1789, et cette vengeance soulève, exalte les passions sanguinaires de l’esclave longtemps rivé à sa chaîne ; la liberté, un moment entrevue, disparaît dans le sang ; elle se remet en servage. De nouvelles aurores traversent l’horizon comme les météores lumineux des mers polaires ; puis encore des chutes, des combats… Et quoi dans l’avenir ?…

Mais je me retourne d’un autre côté et prends les choses d’un autre biais ; tout change d’aspect, tout s’illumine. À peine la Gaule sort-elle des langes de la barbarie, son nom éclate déjà dans l’histoire. À peine y a-t-il une France et des Français, et cependant, quand retentit dans l’Europe étonnée le cri de douleur qui annonce que le tombeau du Christ est profané, cette nation qui vient de naître s’élance à la tête des guerriers qui courent le délivrer. Un roi franc règne à Constantinople, un roi franc à Jérusalem, et ce nom de Franc désigne à lui seul toute l’Europe se ruant sur l’Asie musulmane. Ce peuple, cette royauté, on les voit dès le XIIe siècle resserrés dans un mince territoire, attaqués par tout le monde, conquis un moment par les Anglais, reparaître au bout de deux siècles vainqueurs de ces mêmes Anglais qu’ils chassent à jamais du continent, maîtres du plus beau royaume de l’Europe, et déjà unis et prêts à s’élancer par toutes les avenues de la civilisation. Une réforme reli-