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à la terre, au domaine, mais au maître. Leur inscription dans les villages ou auprès des maisons ne change point leur condition légale; elle fournit simplement au fisc le moyen d’assurer la rentrée de l’impôt. A proprement parler, ce ne sont pas des serfs, mais des esclaves.

Le dernier relevé statistique porte à 57,226,760 la population des deux sexes de la Russie européenne, y compris la noblesse et toutes les classes privilégiées, les marchands, les industriels, les paysans attachés à la glèbe et les paysans de la couronne. Quant aux serfs, hommes et femmes, appartenant à la noblesse russe, ils sont classés dans diverses catégories.

1° Cinq mille seigneurs possèdent trente mille hommes sans terre. Ceux-ci doivent profiter les premiers des bienfaits de l’affranchissement; ils sont rudement exploités par leurs maîtres, qui leur vendent le droit de travailler. On disait dernièrement à une jeune ouvrière qui se plaignait de sa misère : « Cela ne durera plus longtemps, le tsar s’occupe de vous affranchir. — Dieu sait! répondit-elle d’un air de doute profond, il y a bien longtemps qu’on nous le promet, et cependant il faut toujours payer le gospod (seigneur). »

2° 49,708 propriétaires possèdent moins de 21 serfs. Ils ont en propriété 742, 420 paysans des deux sexes. Le sort de ces malheureux est le plus dur : les exactions augmentent avec la gêne du maître; les sentimens de dignité morale et de protection paternelle que manifestent des hommes haut placés sont trop souvent étrangers aux petits propriétaires, ignorans et cupides.

3° On évalue à 3,271,648 âmes (des deux sexes) le nombre des serfs qui appartiennent à 36,024 propriétaires ayant chacun de 21 à 100 âmes. C’est encore la petite propriété avec un caractère analogue d’oppression et de misère.

4° Les seigneurs plus aisés sont au nombre de 19,808, et comptent chacun de 101 à 1,000 âmes, au total 7,807,066 paysans.

5° Les propriétaires riches possèdent de 1,001 à 2,000 âmes; ils sont au nombre de 2,468, et ont en propriété 3,230,286 paysans des deux sexes.

6° Enfin 1,447 seigneurs possèdent chacun plus de 2,000 âmes, et au total 6,567,066 paysans; ils représentent les grandes fortunes territoriales du pays, en tête desquelles se place celle du comte Chéremetief, auquel on attribue plus de 300,000 paysans.

En totalisant ces relevés statistiques, on trouve en chiffres ronds que 22 millions de serfs appartiennent à 109,455 propriétaires, abstraction faite des hommes sans terre et de la catégorie plus nombreuse des dvorovyé.

Si l’on rapproche ce document des données recueillies dans le savant mémoire de M. Kœppen, on a lieu de s’étonner du faible