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cole est encore dans une complète enfance, surtout pour l’exploitation des terres qui appartiennent aux membres de la commune rurale. Le régime de la jachère y est général. Il domine aussi dans les champs seigneuriaux, mal cultivés par des bras serviles, qui gaspillent un temps précieux, et qui, tout compte fait, coûtent fort cher. Si l’on calculait en argent ce que le paysan obtient en terre, en bétail, en bois, etc., le prix de chaque journée s’élèverait très haut. Cependant c’est encore l’exploitation du domaine seigneurial par les corvéables dont le rendement économique est le moins mauvais en Russie. Plusieurs motifs conspirent à ce résultat.

L’absence générale des capitaux et des lumières ne permet qu’aux propriétaires plus riches d’améliorer les cultures et de donner quelque impulsion au travail agricole. Le fermage est presque inconnu, et le paysan, privé de la jouissance héréditaire du sol, écrasé sous les redevances, dépourvu d’énergie morale, exploite mal une terre qu’il n’aime pas. Les sociétés occidentales sont arrivées à transformer la terre au moyen du travail assidu des générations se succédant sur les mêmes sillons et traversant les contrats de bail, de censive et de rente foncière, pour aboutir à la propriété. En Russie, sauf de rares exceptions, le bien seigneurial profite seul d’une manière permanente des améliorations qu’on y réalise; seul, il est marqué du sceau de la propriété héréditaire. En dehors du domaine seigneurial, l’hérédité du sol n’existe presque pas, et les paysans russes ont rarement corrigé les mauvais effets des pratiques communistes qui dominent dans les biens privés, comme dans les domaines de la couronne, avec le cortège inévitable de l’imprévoyance, de l’indolence et de la misère. Storch, l’ancien instituteur de l’empereur Nicolas, a mis en relief les avantages relatifs de la position faite au paysan soumis à un cens, moyennant lequel le maître lui accorde la permission de gagner sa subsistance par un travail libre : il voit dans ce procédé le moyen le plus simple pour sortir du régime de servitude, et il aurait raison, si le cens ne grevait que la terre au lieu de s’attacher à l’homme lui-même, s’il représentait une rente foncière fixe, et non pas une taille personnelle variable. Pour la fixation de l’obrok des paysans domaniaux, le gouvernement ne se règle ni sur les capacités, ni sur les talens, ni sur l’industrie, ni sur la fortune des individus : c’est un impôt uniforme, non-seulement pour tous les membres de la commune ou du village, mais encore pour d’immenses espaces dont l’étendue dépasse celle de beaucoup de royaumes. Le seigneur taxe au contraire les paysans à sa convenance, en se réglant sur les ressources locales. La couronne fixe un impôt par âme, sans faire de distinction entre les unités; le seigneur le prélève d’après les capacités et le gain probable de chacun. Toutefois, dans les domaines des particuliers comme dans les