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efficace était aussi le seul qu’il ne voulût pas admettre, la liberté. Insuffisantes pour amener une réforme sérieuse dans l’organisation rurale, les mesures adoptées ne faisaient qu’irriter les espérances d’affranchissement, et rendaient plus flagrante l’hostilité des intérêts mis en présence. Il y avait des régions où un pareil conflit semblait servir les intérêts d’une politique perfide, et certains hauts personnages, qui acquirent à ce métier une triste célébrité, s’appliquèrent, dans les provinces polonaises réunies à l’empire, à exciter l’animosité des paysans contre les seigneurs, toujours suspects de sentimens patriotiques. C’était manier une arme à double tranchant : on risquait de susciter des idées analogues chez les paysans de la vieille Russie, qu’on voulait maintenir dans la sujétion héréditaire. Il fallut donc modérer ce zèle imprudent; d’ailleurs, même dans les gouvernemens de Kief, de Volhynie, de Podolie, en Lithuanie, il ne s’agissait que des inventaires destinés à fixer les prestations et les redevances des paysans sur des bases nouvelles : il n’était pas question de l’affranchissement.

La tentative la plus remarquable qui signala le règne de Nicolas fut l’ukase de 1842, en vertu duquel devait naître une nouvelle classe de cultivateurs, connue sous le nom de paysans obligés (objazanié krestianié). On prétendait arriver à une forme moins dépendante du travail sans abolir le servage, et il est curieux de voir les précautions méticuleuses dont cette modeste réforme fut entourée. Les anciennes dispositions qu’Alexandre Ier avait prises au commencement du siècle, pour susciter la création d’un ordre de laboureurs libres, servirent de point de départ. Afin de tranquilliser les propriétaires et de les engager à passer des contrats avec leurs paysans, le nouvel ukase décida, dans l’intérêt de l’état, que les terres des seigneurs, un des privilèges de leur noblesse, qui se trouveraient engagées par ces contrats, seraient garanties contre tout ce qui pourrait compromettre la propriété nobiliaire. Il reconnut aux seigneurs, sur les terres concédées, un droit de suprématie « en tout ce qu’elles renferment et produisent à l’intérieur comme à l’extérieur, » et ordonna aux paysans qui recevaient des portions de terrain de reconnaître cette suprématie. Les redevances des paysans au profit des seigneurs pouvaient être stipulées en argent. Si les obligations contractées n’étaient pas remplies, les paysans auxquels on attribuait le nom de paysans obligés étaient contraints de les remplir par voie d’exécution administrative, sous la garantie du chef de la noblesse du district. Les seigneurs conservaient la haute surveillance sur la police des villages; ils avaient la juridiction relative aux délits de peu d’importance et aux contestations entre paysans obligés. Les contrats passés par accord mutuel entre les seigneurs et les paysans devaient être soumis à la sanction du gouvernement.