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peuple. Or ce fait nouveau, à quoi faut-il l’attribuer, sinon précisément à l’idée de race?

Renfermés dans le cercle purement politique, le citoyen britannique et le citoyen de l’Union pouvaient encore se porter envie et vouloir réciproquement s’amoindrir; mais sous le Briton et sous le Yankee s’est retrouvé l’Anglo-Saxon, et la rivalité d’états pourrait fort bien, si l’Angleterre ne se trompe pas sur son rôle, se perdre dans le mutuel orgueil d’une commune origine. Là où finit l’Anglais, l’Américain commence; l’essentiel, c’est de faire voir à l’un que ce qui le dépasse n’est pas nécessairement le désordre, à l’autre que ce qui ne l’atteint pas n’est point pour cela l’immobilité. L’émigration a déjà beaucoup fait pour faciliter cette reconnaissance; des livres comme les English Traits d’Emerson feront encore davantage.

Nous venons de montrer combien, d’un côté, les Anglais ont modifié leur manière de voir au sujet de l’Amérique. Qu’on veuille bien lire maintenant les lignes suivantes du philosophe bostonien Emerson à propos de l’Angleterre :


« Tout voyageur sensé veut naturellement voir ce qu’il y a de mieux parmi les nations, et l’Américain est attiré vers la Grande-Bretagne par plus de raisons que vers tout autre pays. A chaque pas que fait l’Américain vers le bien penser ou le bien agir, il est obligé d’admettre l’existence d’une civilisation antérieure, fortement établie, dominante. L’éducation d’aujourd’hui, les tendances, les pensées des hommes, sont des pensées et des tendances anglaises. Nation considérable depuis mille ans, depuis Egbert, l’Angleterre s’est dans les derniers siècles montrée supérieure, et elle a mis son propre cachet sur la science, l’activité et la force de l’humanité en général. Ceux qui croient lui résister n’en subissent pas moins son influence. Le Russe dans ses neiges s’occupe à tenter d’être anglais. Le Turc et le Chinois font les mêmes efforts avec moins de bonne grâce. Le bon sens pratique de la société moderne, la direction utilitaire que prennent partout le travail, la loi, l’opinion, la religion même, tout ceci est le résultat de l’influence du génie anglais. L’Américain n’est que le continuateur des œuvres de ce même génie dans des conditions plus ou moins propices. »


Nous ne demandons pas l’adhésion absolue de nos lecteurs à ces paroles, peut-être même trouverions-nous quelques argumens contraires. Qu’une pareille glorification de l’Angleterre sorte de la bouche d’un Anglais, nul ne s’en étonnerait; mais qu’elle soit l’œuvre d’un Américain, qu’une appréciation des Anglais inspirée par une sympathie si anglaise nous vienne d’un Yankee, voilà un fait dont il ne faut pas méconnaître l’importance.

On sait le mot attribué à Walter Scott : « Si j’osais m’analyser moi-même, oui, je trouverais bien des choses à dire; mais l’analyse est une arme trop redoutable. » Eh bien ! il y a quelques années, on aurait trouvé sans peine une foule d’étrangers racontant l’Angle-