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arts, dans l’Europe entière, ne florissaient alors et n’avaient quelque vie qu’à Paris. Scheffer y fut envoyé, et entra dans un des ateliers le plus en vogue, l’atelier de Guérin.

Il ne faut pas s’imaginer qu’à cette époque, vers les derniers temps de l’empire, la moindre idée d’innovation pénétrât dans un cerveau d’artiste, de quelque pays qu’il vînt, et quel que fut son âge. Nous ne pouvons aujourd’hui nous bien représenter ce qu’était la discipline ou plutôt la léthargie de ce temps-là en matière de beaux-arts ; nous en sommes plus loin que de l’Égypte au temps des pharaons. Dans les lettres du moins, il y avait deux églises : une partie du public lisait, applaudissait autre chose que Voltaire ; M. de Chateaubriand et Mme de Staël avaient leurs néophytes, ardens, passionnés, pleins de vie. En politique, il y avait plus d’un camp : tout le monde n’admirait pas l’empire ; on regrettait, les uns le consulat, d’autres la monarchie ; on s’inquiétait de quelque chose, on interrogeait l’avenir avec anxiété. Dans les arts, rien de semblable, tout était pétrifié : pas un regret, pas un désir. L’autocrate David était plus absolu, mieux obéi que l’empereur son maître. Ses conscrits à lui, le contingent d’élèves qui chaque année entraient dans nos écoles, s’incorporaient à son armée sans murmures, confians et soumis. Tout le monde avait la croyance, le public comme les artistes, qu’en dehors du style officiel il n’y avait que barbarie. Personne ne s’avisait donc de chercher autre chose, de faire ou d’exiger le moindre effort d’originalité. Chacun peignait, dessinait, composait exactement de la même manière. Ce n’était pas ainsi que, quinze ou vingt ans auparavant, David avait fondé sa puissance. Ses élèves d’alors, les premiers qui l’avaient pris pour chef, en se donnant à lui avaient gardé certaine indépendance ; ils avaient leur physionomie propre : Gros n’était pas Gérard, Girodet n’était pas Guérin. Puis on voyait à côté d’eux certains débris vivans de l’ancienne académie, Greuze et Regnault par exemple ; on voyait quelques solitaires cherchant, comme Prudhon, des sentiers non battus. Ces innocentes dissidences n’avaient pas altéré l’unité du système, et sa froideur s’en était réchauffée ; mais la génération nouvelle ne prenait plus de telles licences : elle n’aspirait qu’à obéir. Toute sève était morte, toute liberté faisait peur : l’esprit de plate imitation, cette lèpre de l’art, avait tout envahi[1].

Cela dura même après l’empire, l’effet survécut à la cause. Le style impérial était encore debout, incontesté, en possession paisible

  1. Géricault, il est vrai, exposa son Hussard en 1812 ; mais on sait comme il fut accueilli par David et même par le public. En général, on conseilla à Géricault de briser ses pinceaux et de se faire plutôt maçon. Il se soumit et se fit soldat. Il ne redevint peintre que quatre ou cinq ans plus tard, sous la restauration.