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de sa toute-puissance, lorsque déjà, depuis quatre ou cinq ans, les aigles avaient disparu, lorsque David était hors de France, subissant un regrettable exil. Ce n’est guère qu’au salon de 1819 que la rébellion commença : l’esprit d’innovation y fit brèche de trois ou quatre côtés à la fois. Déjà au salon précédent, en 1817, il s’était bien permis certaines escarmouches ; mais le public n’y avait pas pris garde : ceux-là seuls s’en étaient aperçus qui connaissaient l’intérieur des écoles et suivaient le travail des esprits. Depuis déjà quelques années, certains ateliers fermentaient, et le plus signalé dans ce nombre était l’atelier de Guérin.

L’auteur du Marcus Sextus n’était cependant pas un esprit téméraire. Jamais il n’eût, de parti pris, abandonné la tradition du maître. Sans s’élever à sa hauteur, sans avoir sa concise énergie, il dessinait à son exemple. Le sentiment du bas-relief est dans tous ses tableaux, ce qui n’empêche pas qu’il s’y rencontre aussi un certain goût de parler à l’âme, un certain désir d’expression. Çà et là, quelque figure rêveuse ou passionnée, quelque heureux effet de lumière, quelque touche sentie, font dissonance avec la raideur des contours et le guindé de la composition. Ce contraste existait chez lui dès sa jeunesse ; il s’était accru avec l’âge. Dans ses derniers tableaux, la Didon, la Clytemnestre, on sent de plus en plus qu’il se débat entre deux influences, les instincts de sa nature et les souvenirs de son éducation. Quelle sorte d’enseignement un tel maître devait-il donner ? L’autorité lui manquait à coup sûr. Ne pouvant conduire ses élèves, il les laissait aller, et cette tolérance le mettait à la mode. C’est ainsi que, sans le vouloir, et à son grand effroi, par le seul fait de son genre de talent et de son caractère, peut-être aussi de sa faible santé, Guérin se voyait entouré et devenu le chef apparent de la jeunesse la plus indépendante et la moins orthodoxe qu’il y eût en ce temps-là.

Était-ce un bonheur pour Scheffer d’être tombé à telle école ? Nous en doutons. S’il avait eu l’esprit timide et engourdi, rien n’aurait mieux valu ; des compagnons comme Géricault et Eugène Delacroix auraient secoué sa paresse. Mais il pouvait se passer d’eux : en fait d’audace et d’entrain, il n’avait rien à apprendre, tandis qu’il avait besoin d’un maître, nous parlons d’un véritable maître, qui lui eût inspiré confiance et respect, dont il eût épousé la gloire et la méthode avec foi, avec enthousiasme, et qui, sans l’asservir, œuvre impossible évidemment, lui eût communiqué ces secrets, ces procédés pratiques qui se transmettent seulement par l’exemple, et qu’à soi seul on n’acquiert jamais bien. Quelques années de plus, et M. Ingres pouvait être ce maître. Scheffer aimait à penser et à dire de quel secours aurait été pour lui un tel apprentissage. Que d’essais