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leur art, autre chose celle que comporte et qu’exige la peinture élevée à sa toute-puissance, c’est-à-dire aspirant à son double but, à sa vraie raison d’être, la représentation vivante aussi bien des âmes que des corps. Ces deux sortes de coloris ne sont pas deux degrés différens d’une seule et même chose : ce sont deux choses différentes, essentiellement distinctes en principe et en application. L’un est plus spontané, il s’acquiert avant tout par instinct, par tempérament ; l’autre est plus réfléchi, la nature le prépare, l’étude le perfectionne. Mais, ne l’oublions pas, on est ou l’on n’est pas coloriste, on l’est à des degrés divers, dans l’un de ces deux modes aussi bien que dans l’autre.

Il y a des gens qui s’imaginent trouver quelque chose de profond lorsqu’à la vue d’un Raphaël ils s’écrient : « Quel dommage que ce ne soit pas Titien qui ait tenu le pinceau ! » Ils croient inventer là un miraculeux mariage, d’où sortirait une création surhumaine, le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre : eh bien ! il faut leur dire que si par impossible ils étaient exaucés, ce qui naîtrait de leur rêve serait une plate médiocrité. Si Titien voulait rester lui-même, il aurait bientôt saccagé, tout en se mettant à la gêne, les lignes, les contours, les délicates expressions de son associé : le Raphaël disparaîtrait, et nous n’aurions qu’un faux Titien. Si au contraire le Vénitien devait rester dans l’ombre, à quoi bon l’être allé chercher ? Dieu fait bien ce qu’il fait : laissons les chênes porter des glands. Cette union de qualités extrêmes et contradictoires fut l’ambition des Carrache, principalement d’Annibal : qu’en ont-ils obtenu ? Avec des facultés de premier ordre, à quel rang se sont-ils placés ? Ils voulaient faire de la chaude couleur sur du dessin arrêté, ils se sont faits lourds coloristes et vulgaires dessinateurs, ni peintres ni poètes. Est-ce là ce qu’on veut quand on prêche la couleur à tort et à travers, sans s’inquiéter de la mesure, de l’à-propos, de l’harmonie, en demandant à tout le monde le même éclat, les mêmes vigueurs, en appelant incolore tout ce qui n’excède pas le ton de la vérité ? Si quelque chose nous semble impardonnable, quand on se mêle d’aimer les arts, c’est de ne pas sentir que Raphaël est coloriste, grand coloriste, mais seulement lorsqu’il consent à l’être à sa façon, sans dépasser sa propre gamme, sans emprunter le diapason des autres, de ceux qui n’ont à leur service ni la forme ni la pensée.

Revenons maintenant aux Femmes souliotes. Qu’aurions-nous voulu que fît Scheffer ? Non pas un effort moins grand pour se faire coloriste, un effort autrement combiné. Au lieu de ces partis pris, de ces tons soutenus, de ces contrastes, moyens un peu matériels en désaccord avec tout son talent, nous aurions voulu qu’il cherchât un coloris sobre et tranquille, solide, mais conforme à sa nature,