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de même famille que sa pensée, son coloris à lui, un coloris spécial, complètement affranchi des banalités de métier. Ce que nous souhaitions là, c’était ce que lui-même allait dorénavant chercher, essayer sans relâche, jusqu’au dernier jour de sa vie, ce qu’il eut le bonheur de rencontrer souvent, surtout dans la plupart de ses dernière ouvrages, ceux que le public ne connaît pas encore et dont bientôt nous parlerons.

Nous avons fait comme une halte devant ce tableau des Femmes souliotes, parce que dans la vie de l’artiste il marque un temps de transition. On peut dire qu’il ne se rattache ni aux œuvres qui précèdent ni à celles qui vont suivre, différant des premières par la facture et par les dimensions, des secondes par le caractère. Si les figures sont étudiées et peintes avec un soin tout nouveau, c’est encore une scène, une action dramatique, un groupe de nombreux personnages, toutes choses que désormais Scheffer allait laisser là en même temps que ses petites toiles. Voulant épurer son dessin et affermir son style, sans toutefois cesser d’être lui-même, sans renoncer à ses dons acquis, à sa manière pénétrante d’exprimer le sentiment, il n’avait qu’un moyen : concentrer son étude et ses forces sur un petit nombre de figures, éviter toute action compliquée, ne s’adresser ni à la pure histoire ni à la pure fantaisie, l’histoire étant trop positive, la fantaisie trop vague ; chercher dans les légendes ces personnages qui sont un drame par eux-mêmes, que le public connaît et qu’il aime à revoir, qui prêtent au développement et posent devant le peintre, qui se peuvent étudier, analyser sans fin.

Or de toutes les légendes, la plus riche comme la plus sublime, la source éternellement féconde de l’art et de la poésie modernes, Scheffer n’osait y puiser encore. Soit qu’il n’eût pas suffisamment ouvert son âme aux rayons d’immortelle vérité qui plus tard devaient luire pour lui, soit qu’il ne fût pas encore assez sûr de sa main pour toucher à cette arche sainte, près de dix années s’écoulèrent sans qu’il traitât un sujet religieux. C’était pourtant, à son insu, sa véritable vocation, son but suprême ; mais il avait besoin d’un noviciat. Pour s’élever de la vie réelle, vie d’affections, de misères, de tristesses, qu’il avait si bien peinte, à la vie surhumaine, à l’idéal religieux, il lui fallait passer par des régions intermédiaires. Cette atmosphère nouvelle où désormais il allait vivre, c’était la poésie.

Ainsi trois phases successives, trois cycles, pourrait-on dire, dans cette vie d’artiste : le monde tel qu’il est, le monde des poètes » puis enfin le monde de la foi.

De quels poètes allait-il s’inspirer ? Nous dirions presque qu’il