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Agui se vit bientôt à la tête d’un parti puissant, au sein duquel fermentait, en même temps que le sentiment religieux, un confus instinct de nationalité et de race. Les noirs, depuis longtemps courbés sous l’implacable oppression des Maures, se sentaient fiers de voir un des leurs se lever au milieu d’eux pour réhabiliter leur sang et leur couleur, et proclamer leur indépendance. En 1847, Al-Agui descendit au Fouta ; il y reçut, outre les présens et les respects des chefs du pays, les hommages des traitans musulmans, qui lui procurèrent les honneurs d’une navigation à vapeur sur le Sénégal.

Ce voyage l’avait rapproché des populations soumises à l’autorité française. Au mois d’août de la même année, il se décida à aborder les chefs eux-mêmes : ne pouvant songer encore à les renverser par une attaque directe, il espérait s’en faire d’aveugles instrumens de sa grandeur. Dans une entrevue qu’il eut à Bakel avec le gouverneur, M. de Grammont, il se posa comme un ami des blancs, qui ne combattait que l’anarchie. Pour prix des coutumes et de la protection qu’il demandait aux Français, il s’engageait à faire régner l’ordre et la paix, à faciliter le commerce. Il se chargeait de se faire reconnaître almami du Fouta, à la condition que les blancs lui construiraient un fort pour résister aux ennemis que lui attirerait son alliance avec les infidèles. Ce langage était exactement le même qu’avait tenu en Algérie au général Desmichels, quinze ans auparavant, le fils de Meheddin, le jeune Abd-el-Kader, au début de sa carrière. Heureusement le gouverneur du Sénégal fut moins confiant que le commandant d’Oran : il refusa tout appui. Déjoué dans ses ruses, Al-Agui ne dut compter désormais que sur lui-même. Cependant, en homme habile et maître de sa colère, il ne précipita rien. Plusieurs années furent encore par lui consacrées à mûrir ses projets, à aiguiser le fanatisme de ses partisans par le jeûne, la prière, la parole. Ce ne fut qu’en 1852 qu’il jugea le moment venu de faire succéder à une pacifique propagande le cri de la guerre sainte.

Se jeter sur les états ouolofs ou toucouleurs, à portée des postes français, eût été trop téméraire : il les réserva pour ses derniers coups, et songea d’abord à asseoir solidement sa puissance dans le haut du fleuve, hors de nos atteintes. Il débuta par l’attaque du village de Tomba, situé sur les confins du Fouta-Dialon, du Bambouk et du Bondou, en un lieu escarpé, d’où l’on peut s’élancer à volonté sur l’un de ces trois états. Maître de Tomba, il en fit sa place d’armes. Sa renommée agrandie par la victoire, de nombreux chefs de pays circonvoisins accoururent, mettant leurs trésors à ses pieds et leurs bras à son service. Par un système habile et hardi, dont il ne s’est plus écarté, il retint auprès de lui les chefs, et envoya