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route par un temps affreux pour retrouver son enfant, mais qui trouvait contraire à la dignité paternelle de lui avouer sa sollicitude. Je pensais bien que nos amis ne t’auraient pas laissé partir seul ; mais à cause du cheval, qui pouvait s’estropier !…

Tandis que le danneman expliquait ainsi son inquiétude, le lieutenant faisait au major une communication dont celui-ci parut très frappé.

— Qu’y a-t-il donc ? lui demanda M. Goefle.

— Il y a, répondit Larrson, que nous sommes tous sous l’empire d’idées noires qui nous rendent fort ridicules. Le lieutenant, en faisant sa ronde, a entendu comme une plainte humaine traverser les airs, et nos soldats sont si effrayés de tout ce que l’on raconte de la dame grise du Stollborg, que, sans le respect de la discipline, ils auraient déjà déguerpi. Il est temps d’en finir avec ces rêveries, et, puisqu’il n’y a pas moyen de pénétrer par ici dans cette chambre murée, il faut explorer le dehors avec attention, et voir si cette fantasmagorie ne sert pas de prétexte aujourd’hui aux bandits de là bas pour nous tendre un piège. Venez avec nous, Christian, puisque vous avez cru découvrir un moyen de grimper…

— Non, non ! répondit Christian ; ce serait trop long et peut-être impossible. Je trouve bien plus sûr et plus prompt d’ouvrir ce mur. Il ne s’agit que d’avoir la première brique.

En parlant ainsi, Christian arrachait de ses anneaux la grande carte de Suéde, et, armé de son marteau de minéralogiste, il entamait la cloison avec une vigueur désespérée, tantôt frappant avec le bout carré de l’instrument sur la brique retentissante, tantôt passant la pointe aiguë et tranchante dans les trous qu’il avait pratiqués, et amenant avec violence de larges fragmens liés ensemble par le mortier, qui tombaient avec fracas sur l’escalier sonore. Il eût été bien inutile de vouloir s’opposer à son dessein. Une sorte de rage le poussait à sortir de l’inaction à laquelle on voulait le réduire. Les idées étranges qu’il avait conçues sur la présence d’une personne enfermée dans cette mystérieuse masure lui revenaient dans l’esprit comme un cauchemar. Il était même tellement surexcité qu’il était prêt à admettre les idées superstitieuses que M. Goefle avait subies en ce lieu, et à penser qu’un avertissement surnaturel l’appelait à découvrir le secret infernal qui pesait sur les derniers momens de sa mère.

— Ôtez-vous, ôtez-vous de là ! criait-il à M. Goefle, qu’une anxiété analogue, mêlée d’une vive curiosité, poussait à chaque instant au pied de l’escalier ; si le travail s’écroule en bloc, je ne pourrai pas le retenir.

En effet, la cloison artificielle, qui s’étendait sur une assez grande