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ainsi que les polémiques soutenues par ses continuateurs. C’est cette ignorance que je regrette pour le savant et spirituel philosophe. Cette doctrine du principe vital, dont il parle si dédaigneusement, de sérieux écrivains lui ont accordé l’honneur d’une discussion approfondie[1]. S’il avait fait de même, il aurait peut-être trouvé une réponse à des objections que soulève son système, et qui ne viennent ni des cartésiens ni des matérialistes.

On voit la direction toute, nouvelle que la philosophie allemande s’est ouverte. Qu’est-ce que l’âme ? Qu’est-ce que le corps ? Quels sont les rapports de l’esprit et de la matière ? Où faut-il marquer les limites réciproques de la psychologie et de la physiologie ? Ces questions et celles qui s’y attachent étaient fort dédaignées naguère. De grands théoriciens, qu’on aurait pu appeler sans raillerie les docteurs sublimes et les docteurs angéliques de la scolastique allemande, méprisaient ces problèmes d’ordre inférieur ; on vivait dans l’infini, au sein de la pensée pure, et les disciples, éblouis, par les maîtres, trouvaient plus facile de créer le monde que de l’étudier. Aujourd’hui la philosophie est revenue à l’observation de la nature ; la voilà qui, humblement et courageusement, rentre à l’école des sciences exactes ; bien plus, elle y excelle, déjà : d’élève qu’elle était, elle redevient maîtresse ; c’est à elle de résoudre maintes questions demeurées indécises entre les savans, et j’ai pu reprocher avec raison à M. Fichte de ne pas avoir jugé la querelle des vitalistes et des spiritualistes, car l’appréciation de ce débat lui appartient. Les partisans du double dynamisme ont pour eux d’éminens philosophes, entre autres Maine de Biran et Jouffroy ; ils ont contre eux la tradition des maîtres, Platon, Aristote, saint Thomas d’Aquin, Leibnitz, tradition défendue et continuée de nos jours par des intelligences d’élite. M. Fichte, si bien initié aux travaux de la physiologie moderne, était mieux préparé que personne à prononcer un jugement décisif. S’il s’était occupé davantage de ces problèmes obscurs sans doute, mais accessibles à l’induction, peut-être ne se serait-il pas laissé entraîner à examiner des questions tout à fait mystérieuses, et interdites aux légitimes procédés de la raison, On retrouve ici le péché originel de la philosophie germanique. Ce penseur, qui veut rivaliser d’exactitude avec les physiciens va s’élancer bientôt au-delà des bornes de la science. Les mystères l’attirent, et l’enivrent. Il veut nous dévoiler le plan de Dieu. Que l’âme puisse vivre sans le corps, qu’elle n’ait pas besoin des organes physiques pour déployer ses facultés, qu’elle soit même limitée plutôt que servie par ces organes, il l’a prouvé ingénieusement et hardiment, sans quitter le domaine

  1. Voyez le récent et remarquable travail de M. Francisque Bouillier, doyen de la Faculté des lettres de Lyon : De l’Unité de l’âme pensante et du Principe vital, Paris 1858.