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défauts, se pardonnent leurs écarts, et ont une certaine tendresse même pour leurs folies. Des vices d’esprit ou de caractère qui sembleraient haïssables à un étranger indifférent deviennent tolérables et excusables lorsqu’ils sont expliqués et jugés par une âme sympathique. Cette famille est la fidèle image de la nation anglaise. Depuis longtemps rassurés les uns contre les autres par la pratique des institutions libres, les Anglais forment comme une grande famille, dont les membres ont des intérêts distincts, mais ne sont séparés par aucun dissentiment profond. Unis par des principes communs et acceptés par tous, ils le sont encore, le sentiment de la race aidant, par les liens du sang. Les différentes classes de la société partagent les mêmes vertus et les mêmes vices ; elles ne sont séparées que par des nuances, importantes sans doute, mais qui ne suffisent pas à établir une différence tranchée. Une cordialité singulière, et qui ne se rencontre dans aucun autre pays, relie entre elles ces diverses classes ; les plaisirs préférés du peuple sont ceux de l’aristocratie, et nul ne s’entend mieux, ainsi qu’en témoignent les discours prononces sur les hustings, à parler le langage populaire qu’un membre de l’aristocratie anglaise. Toutes ces circonstances font de l’Angleterre une vaste franc-maçonnerie, une franc-maçonnerie à ciel ouvert et à la face des nations.

Voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue quand on parle de l’Angleterre contemporaine, ou bien l’on risque de prendre des faits qui n’ont qu’une importance relative pour des événemens gros de catastrophes, et des nuages passagers pour des orages prochains. C’est, je le crains beaucoup, notre défaut dans les jugemens que nous portons souvent sur l’Angleterre. Les Anglais ont la voix rude et violente ; ils aiment à faire abus de locutions énergiques et triviales, qui, traduites dans notre langue polie, nous semblent parfois l’expression de la haine et de la colère. Laissez dire ! ce sont querelles de famille dans un ménage populaire, tempêtes domestiques. « Je ne sais si l’état est en danger, disait à propos d’une de ces fréquentes querelles de famille un des hommes les plus illustres de l’Angleterre ; tout ce que je sais, c’est que je vois l’état régulièrement en danger tous les dix ou quinze ans, et quant à l’église, depuis que j’existe, je ne l’ai jamais vue hors de danger. » Il est donc à craindre que ceux qui prophétisent à tue-tête la décadence de l’Angleterre ne prennent leurs désirs pour des réalités, et des querelles déménage pour des cas de divorce imminent. Dans les états comme dans les ménages, il n’y a divorce irrémédiable que lorsqu’il y a mésestime mutuelle et radicale incompatibilité d’habitudes. Tout ceci ne veut pas dire cependant qu’il n’y ait rien de changé en Angleterre, et qu’il ne s’y prépare pas de nouvelles métamorphoses ;