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silence avait à peu près le sens que voici : « Il est possible qu’il y ait parmi nous beaucoup d’hypocrisie religieuse, mais ce n’est pas à moi de l’avouer. Il me plaît de me soustraire aux exigences de cette hypocrisie, mais je n’ai aucun droit de condamner ceux qui s’y soumettent. Beaucoup sont de grands pharisiens peut-être ; cependant, et malgré tout, ce sont mes compatriotes. Quant à l’église anglicane, je n’ai aucune envie de rechercher si ses doctrines sont ou non capables de soutenir les assauts de la logique ; je me contente, pour des motifs qui me sont personnels et qui ne regardent que moi, de ne pas fréquenter ses temples. Ce qui est certain, c’est qu’elle fait partie de la constitution nationale ; que ses dogmes soient ce qu’ils voudront, elle est l’église de la nation. Vous avez incontestablement le droit de l’attaquer, puisque vous n’êtes ni Anglais, ni anglican ; mais moi, qui fais partie de la nation anglaise, j’ai le devoir de me taire. Je puis cesser d’être croyant, mais je ne peux cesser d’être Anglais. »

Certes cette anecdote n’a rien de bien surprenant, et il est probable qu’il est arrivé quelque aventure semblable à tout Français voyageant en Angleterre ; mais elle est singulièrement caractéristique de la manière de sentir et de penser du peuple anglais. Le peuple anglais est celui qui consent le moins à se calomnier, ou seulement à médire de lui-même. Si rien n’égale à l’occasion l’arrogance de ses dédains pour l’étranger, rien n’égale en revanche la discrétion de ses antipathies domestiques. Placez un Français hors de son pays, il calomniera sans se faire prier et ses institutions et son gouvernement, si ces institutions et ce gouvernement sont contraires à ses idées personnelles. Les opinions personnelles d’un Français passent avant toute autre considération, et deux Français divisés d’opinions peuvent aisément devenir des ennemis irréconciliables. Le Français est tout amour pour ses opinions, il n’a que haine et mépris pour les opinions contraires aux siennes. Tout au contraire les préjugés de ses compatriotes sont presque aussi chers à un Anglais que ses propres opinions. Les divers membres d’une nombreuse famille ont nécessairement des caractères fort dissemblables ; la vieille grand’mère est très routinière, et répète à satiété les mêmes histoires connues, les mêmes proverbes surannés ; la tante, restée vieille fille, est remplie de manies très inoffensives pour tout le monde, excepté pour ceux qui sont forcés de vivre avec elle ; le fils aîné, téméraire et entreprenant, est gêné dans son audace par un père timide et prudent. Tous à l’occasion plaisantent les uns des autres, rient de leurs manies, se querellent même, et cependant, malgré ces inévitables dissemblances, tous se supportent et vivent en bonne intelligence : ils jugent avec indulgence leurs