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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/786

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monde composé d’ecclésiastiques, sans entendre parler de la religion et des choses divines. Évêques, doyens, chapelains, archidiacres ne s’entretiennent entre eux et ne nous entretiennent que des biens de la terre, des plaisirs mondains et des médisances de la société. — Quel sera leur nouveau doyen ? M. Harding restera-t-il gouverneur d’Hiram’s Hospital ? Est-il vrai que M. Slope, le chapelain, soit devenu amoureux de la signora Neroni, une jolie femme coquette, qui, pour comble d’horreur, est une femme mariée ? On dit que mistress Éléonore Bold a réussi à inspirer à M. Arabin une tendre inclination. Le nouvel évêque, M. Proudie, voudrait bien conférer le bénéfice vacant à M. Harding ; mais l’évêque n’est pas tout à fait maître chez lui, et mistress Proudie a juré que le bénéfice serait donné à M. Quiverful, qui est si pauvre et qui a quatorze enfans ! Voilà quelques-uns des thèmes ordinaires de la conversation. De religion, de doctrine, à peine un mot çà et là. Un des axiomes les plus judicieux du dandysme transcendental, c’est qu’un homme n’est parfait qu’autant qu’il est parvenu à effacer en lui toutes les traces de sa profession et de son origine. Les dignitaires anglicans de M. Trollope sont donc des gentlemen accomplis, car on ne devinerait jamais à leurs allures qu’ils sont des ministres de l’église, si leur carte de visite ne nous l’apprenait pas. On dirait une société de gentilshommes qui, par une fantaisie assez bizarre, se sont avisés de jouer un roman ecclésiastique, comme au XVIIe siècle la haute société s’amusait à jouer des romans pastoraux ; Leurs titres et leurs fonctions ressemblent à une décoration, à un costume artificiel, comme la houlette et les rubans de la pastorale. Le roman ecclésiastique que jouent ces personnages déguisés en clergymen n’est pourtant pas précisément une pastorale, quoique les soupirs, les intrigues et les flirtations n’y manquent pas ; c’est une sorte d’imbroglio réaliste à l’anglaise, où des convoitises très positives poursuivent des biens très matériels. Tout est mis au service de ces convoitises, même un sermon, même un pamphlet religieux, si bien qu’on croirait voir les personnages du Lutrin de Boileau représentant une comédie de M. Scribe. Le royaume de l’église est de ce monde, sinon le royaume du Christ, et les dignitaires de Barchester font de leur mieux pour le prouver. Entrons, avec l’auteur de Barchester Towers, dans l’intimité de quelques-uns de ces personnages, ils rectifieront quelques-unes de nos idées sur le caractère ecclésiastique, et nous prouveront qu’on peut être à la fois ministre de Dieu et homme d’affaires consommé.

Le vieil évêque de Barchester vient de mourir, et son fils, l’archidiacre Théophile Grantly, n’est pas tellement abîmé dans sa douleur qu’il n’ait le temps de penser à ses intérêts personnels. C’est