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candidat aux ordres sacrés ? Et M. Stanhope lui-même est-il autre chose qu’un vieux pécheur mondain endurci dans sa frivolité ? Ce qui frappe en effet dans tous ces personnages du roman de M. Trollope, c’est qu’à l’exception de M. Slope, ils n’ont aucun des vices de leurs professions ; ils n’ont que des vices laïques. Les meilleurs ont les faiblesses de bons pères de famille comme M. Harding, ou les faiblesses de maris bornés et domptés comme l’évêque Proudie. L’archidiacre Grantly est un type d’ambitieux ; mais il est audacieusement ambitieux à la manière laïque, et non sournoisement ambitieux à la manière ecclésiastique. Les pires de tous, les Stanhope, sont gangrenés de vices, mais de vices mondains. La famille et le monde occupent tous leurs soucis ; de l’église il est à peine fait mention. On discute des questions d’héritage et d’intérêt, on agite des projets de mariage, et l’amour remplit tout le temps que l’ambition laisse inoccupé. Cet esprit mondain finit par gagner même ceux qui ont considéré leurs devoirs comme incompatibles avec la vie du monde ; il suffit du regard d’une femme pour changer les dispositions de leur cœur, car les femmes sont aussi puissantes dans ce milieu ecclésiastique que dans la société. Elles commandent comme mistress Proudie, ou laissent agir paisiblement leur influence inévitable comme Éléonore Bold, ou induisent les cœurs en tentation comme la signora Neroni. Ces personnages se prennent d’ailleurs pour ce qu’ils sont, ne font jamais un retour sur eux-mêmes, et n’ont aucune aspiration vers la sainteté. Ils sont mondains sans peur et sans reproche, et ne craignent au monde qu’une seule puissance, la presse. Le Jupiter seul (lisez le Times) a le privilège de les faire trembler. Il est impossible d’imaginer des types qui soient plus éloignés du caractère sacerdotal que les clergymen de M. Trollope. On voit bien qu’ils sont appelés doyens, chanoines, recteurs ; mais on a envie de se demander si ce ne sont pas simplement des titres honorifiques ou des titres académiques conférés à des scholars.

Les romans de M. Trollope n’attaquent aucun point de doctrine et de principe. Il n’est pas fait une seule fois allusion aux dogmes anglicans, et nous pouvons supposer que l’auteur est assez indifférent à cet endroit ; mais ils attaquent la hiérarchie, et dans l’église anglicane le point essentiel, important, n’est pas le dogme, c’est l’organisation ecclésiastique. Nous ferons comme M. Trollope ; nous nous garderons de rechercher si l’église anglicane est ou non fondée sur des bases logiques, et nous nous en tiendrons à cette question des mœurs mondaines dans le haut clergé anglican, que le romancier a si bien mise en lumière. La peinture de ces mœurs singulières et si contraires à toutes nos idées fait naître en nous un