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salutaire, permit à Marcel de l’accompagner. Seulement, par convenance, Hector, armé de son fusil et suivi de son chien, se joignait aux deux jeunes gens. Hector avait-il deviné le profond et discret amour qui liait Marcel à sa sœur ? Craignait-il d’être importun, ou était-ce chez lui pure légèreté, passion de la chasse ou désir de liberté ? Ce qui est certain, c’est que le jeune chasseur ne pouvait jamais trouver de gibier là où désiraient s’arrêter Marcel et Noélie, et ceux-ci avaient toujours quelques curiosités à aller voir bien loin des parages où se rencontraient cailles, lièvres et perdreaux. On se retrouvait cependant pour le retour, et, en voyant revenir les trois jeunes gens dans un si parfait accord, on n’aurait pu soupçonner au château qu’ils se fussent jamais séparés.

Quelles douces promenades firent Marcel et Noélie au doux soleil d’automne, qui, avant de disparaître sous les brumes de l’hiver, leur souriait au milieu d’un ciel d’azur ! Ils ne s’étaient jamais dit qu’ils s’aimaient. Lorsque l’aurore envahit le firmament, a-t-elle besoin d’annoncer sa présence ? Ils allaient souvent s’asseoir sur un tertre élevé qui dominait une large étendue de guarigues parfumées de thym. Leurs regards se perdaient dans le lointain immense, et les guarigues exerçaient sur leurs âmes ce mélancolique prestige qui est le charme du désert. Le nom de désert convient bien en effet à ces landes aujourd’hui en partie dépouillées, et qui autrefois étaient couvertes de chênes verts, d’yeuses, de lentisques, de térébinthes, de cades (genévriers). Il y a un siècle à peine, la plupart des guarigues étaient des bois qui servaient encore de repaire à des sangliers ; aujourd’hui il n’y reste plus que quelques rares souches des arbres tombés sous la cognée. Des rameaux rabougris essaient parfois de s’élever des racines oubliées par le bûcheron, mais la dent meurtrière des chèvres et des moutons appauvrit bientôt la malingre végétation de ces rejetons séculaires. Les guarigues sont d’excellentes dépaissances pour les troupeaux, qui y trouvent une herbe plus succulente et surtout plus nutritive que celle des pâturages de la plaine. Marcel et Noélie aimaient ces plateaux incultes, dont l’air balsamique et une brise légère venant de la mer rendent le séjour salubre et tonique, même au sein des plus fortes chaleurs. Ils cueillaient des bouquets d’aspic (lavande), de fenouil et de thym, et les joignaient à l’immense gerbe du distillateur de plantes aromatiques de Fabriac, qui allait butinant de guarigue en guarigue, suivi d’un âne portant son alambic ambulant[1]. Marcel et Noélie allaient quelquefois jusque sur la cime élevée du pic de Saint-Loup, pour promener leurs

  1. Cette distillerie en plein air est une industrie extrêmement originale, propre aux campagnes du midi ; mais le produit le plus précieux des guarigues est le kermès végétal ou faux chêne, qui croit entre les rochers, parmi le genêt d’Espagne, le romarin et l’immortelle sauvage.